À Cureghem, les habitants ont fini par s’habituer à tout — sauf peut-être à s’habituer. Les dealers, eux, ne connaissent ni inflation ni crise du logement , ils occupent le terrain avec la constance d’un service public. Depuis 2022, les habitants alertent, les journalistes constatent, et les politiques… réfléchissent encore à la forme de la table où ils vont se réunir pour en parler.
Le bourgmestre d’Anderlecht, Fabrice Cumps, a récemment proposé un couvre-feu à 21 h dans les quartiers les plus touchés. L’idée , disperser les consommateurs de crack, les vendeurs, et les espoirs d’un dîner tardif en terrasse. Mais la mesure a été rejetée par le collège communal, au grand soulagement des restaurateurs qui n’avaient pas envie de voir leur chiffre d’affaires passer au noir complet.
« Ici, à partir de 21 h, c’est une autre vie qui commence », explique le bourgmestre.
Une vie « pleine d’incivilités, pleine de nuisances, générées par un public sous influence ».
Bref, une ambiance que même Netflix hésiterait à classer en fiction.
Dans le quartier Clémenceau, les seringues remplacent parfois les pavés, et les habitants oscillent entre colère, résignation et humour noir. Mohamed, 40 ans de Cureghem au compteur, constate :
« Ce n’est pas un laisser-aller, c’est un abandon total. »
Une phrase qui pourrait d’ailleurs figurer sur le panneau d’entrée du quartier, juste sous “Bienvenue à Cureghem”.
Les habitants dénoncent un vide : un vide de politiques, de solutions et, parfois, d’air respirable.
Le comité “Vigilance Cureghem”, composé d’irréductibles, continue pourtant de croire à un renouveau. “On tiendra bon”, disent-ils. L’espoir est toujours permis — surtout quand on n’a pas les moyens de déménager.
Du côté des restaurateurs, le couvre-feu a été accueilli avec la même ferveur qu’une fermeture administrative.
« Fermer à 21 h ? Et pourquoi pas à midi pendant qu’on y est ? »
ironise un patron de brasserie qui voit déjà les touristes hésiter entre un plat du jour et un aller-retour vers Ixelles.
En 2024, la police Midi a arrêté 1 500 vendeurs de drogue. Un chiffre impressionnant, sauf quand on sait qu’il y en a probablement 1 501. La stratégie reste donc celle du tonneau des Danaïdes : on vide, on nettoie, on recommence.
Le bourgmestre, lui, en appelle désormais à la Région pour créer de véritables dispositifs socio-sanitaires.
« Ces personnes sont avant tout malades », rappelle-t-il.
Ce à quoi les habitants répondent, las mais polis :
« Oui, mais nous aussi, à force. »
En attendant une solution structurelle, Cureghem continue de fonctionner à sa manière — un mélange d’entraide, de débrouille et de résilience urbaine.
Certains jours, le quartier semble même paisible.
Mais c’est souvent avant 21 h.