Grâce présidentielle pour Boualem Sansal , la souveraineté algérienne entre fierté et démangeaison diplomatique

Majdi Fatima Zahra

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Il suffit parfois d’un écrivain pour provoquer une crise d’État.

Boualem Sansal, plume rebelle et conscience critique de l’Algérie contemporaine, se retrouve aujourd’hui — bien malgré lui — au centre d’un imbroglio diplomatique où la littérature se frotte à la susceptibilité militaire.

Berlin, au nom des valeurs humanitaires et de la liberté d’expression, a osé demander officiellement au président Abdelmadjid Tebboune la grâce de l’auteur.

Un geste présenté, côté allemand, comme une marque de « compassion », mais perçu, à Alger, comme une gifle à la souveraineté nationale et un affront personnel à cette « fierté postcoloniale » que le régime militaire érige en dogme depuis six décennies.

Entre l’humiliation et la fierté : le dilemme de la souveraineté

Depuis des années, la junte algérienne cultive l’image d’une forteresse assiégée, d’un État immunisé contre les « injonctions étrangères ».

Mais lorsque la demande émane du président allemand en personne, refuser devient risqué, et accepter devient impardonnable.

Une source proche de la présidence confie que les cercles militaires voient dans la requête de Steinmeier un dangereux précédent , si un écrivain peut bénéficier d’une pression internationale, qu’en sera-t-il demain des journalistes, des militants ou — horreur suprême — de la Kabylie ?

Dans la logique du général Saïd Chengriha, céder à Berlin, c’est ouvrir la porte à toutes les contagions occidentales.

Ainsi, la présidence évoque prudemment la demande allemande, comme on manipule un objet explosif : à petites touches, pour tester les réactions du sérail militaire et de l’opinion publique.

L’affaire Sansal est devenue une sorte de thermomètre de la paranoïa souverainiste.

La diplomatie de la gêne : entre fiction et schizophrénie politique

À Alger, on maîtrise l’art du double langage :

  • À l’intérieur, on tonne contre « l’ingérence étrangère » ;
  • À l’extérieur, on négocie en silence pour éviter la rupture avec l’Europe — principal client gazier du pays.

Les porte-parole du régime répètent que « l’Algérie ne reçoit d’ordres de personne », tout en cherchant à ménager leurs partenaires énergétiques pour ne pas aggraver la crise économique.

C’est la version algérienne de la souveraineté flexible : on crie très fort quand les micros sont ouverts, puis on s’excuse poliment quand les caméras s’éteignent.

Tebboune entre le marteau européen et l’enclume des casernes

Le président Tebboune se retrouve piégé dans une équation impossible :

  • Refuser la grâce, c’est renforcer l’image d’un régime autoritaire, crispé, sourd aux appels internationaux.
  • L’accorder, c’est reconnaître implicitement que la justice algérienne peut être fléchie par la diplomatie allemande — un blasphème absolu pour l’armée.

Dans tous les cas, Tebboune en sortira affaibli : humilié à l’extérieur s’il résiste, fragilisé à l’intérieur s’il cède. Entre les généraux et les chancelleries européennes, il n’a plus le luxe du choix — seulement celui de la posture.

Quand la souveraineté tourne à la caricature

Pendant que le pouvoir disserte sur « l’honneur national », le peuple, lui, pense à autre chose , l’inflation, le chômage, la pénurie d’eau, la misère des wilayas intérieures. Mais le régime, fidèle à son théâtre politique, préfère défendre la « dignité de l’État » plutôt que celle des citoyens.

Ainsi, la souveraineté devient un slogan d’exportation, un vernis idéologique destiné à masquer l’usure d’un système qui confond indépendance et isolement.

 Quand la littérature devient crime diplomatique

Au fond, Boualem Sansal n’est qu’un symbole involontaire. Son sort révèle l’extrême fragilité d’un pouvoir qui ne sait plus s’il doit punir un écrivain ou amadouer une chancellerie.

Là où la littérature cherche la vérité, le régime, lui, cherche un prétexte. Et si, finalement, la grâce lui était accordée, le communiqué officiel parlera sans doute d’un « geste humanitaire magnanime du Président de la République ».

Mais personne ne sera dupe , ce ne serait pas un acte de clémence, mais un aveu de faiblesse soigneusement maquillé en vertu nationale. Entre Berlin et Alger, la diplomatie se gratte la tête — et peut-être un peu la conscience.

 

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