Boualem Sansal libéré : quand Alger découvre soudain les vertus de « l’humanitaire diplomatique »
Bouchaib El Bazi
C’est un petit miracle diplomatique enrobé de bons sentiments , l’Algérie a finalement accepté de gracier et de transférer l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal vers l’Allemagne, où il pourra être soigné. Après un an de détention et une condamnation à cinq ans de réclusion en appel, le romancier qui avait osé écrire trop franchement sur la société algérienne retrouve la liberté, grâce — officiellement — à la « sensibilité humanitaire » du président Abdelmadjid Tebboune. Oui, vous avez bien lu , humanitaire.
Le communiqué de la présidence, lu avec la gravité d’un bulletin météo d’État, explique que Tebboune a répondu « favorablement » à la demande de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, « en raison de la nature et des motifs humanitaires » de l’affaire. Une tournure polie pour dire que Berlin a insisté, et qu’Alger a fini par céder — en s’assurant tout de même de tirer quelques dividendes diplomatiques au passage.
L’art algérien du geste calculé
Dans les cercles du pouvoir à Alger, on appelle cela une magnanimité stratégique. Après tout, libérer un écrivain malade, cela ne coûte pas grand-chose politiquement, mais ça peut rapporter gros : une poignée de mains européenne, quelques sourires à Bruxelles, et un petit adoucissement des critiques sur les droits humains.
En coulisse, certains diplomates allemands auraient discrètement évoqué des « coopérations énergétiques » et des « convergences d’intérêts » qui méritaient, selon eux, « un geste symbolique ». C’est là qu’entre en scène Boualem Sansal, devenu malgré lui le messager d’une détente euro-algérienne aux airs de transaction humanitaire.
La France, soulagée… et légèrement vexée
À Paris, le gouvernement français n’a pas tardé à saluer la nouvelle. Le ministre Sébastien Lecornu a exprimé le « soulagement » du gouvernement, remerciant « du fond du cœur » ceux qui ont contribué à cette libération. Le tout « dans le respect et le calme » — un ton feutré qui dissimule à peine une pointe d’amertume.
Car derrière les mots diplomatiques, on devine un soupçon de jalousie hexagonale , comment, ce sont les Allemands qui ont obtenu la grâce d’un écrivain franco-algérien ? Paris, d’habitude si prompte à s’autoproclamer protectrice de la liberté d’expression, a dû cette fois se contenter d’applaudir depuis le banc des spectateurs.
Une nouvelle démonstration, s’il en fallait une, que la diplomatie algérienne, souvent hésitante, sait parfois manier la corde sensible avec un sens du timing presque… littéraire.
Un écrivain entre deux exils
Reste maintenant à savoir quel visage montrera Boualem Sansal en arrivant à Berlin. Celui d’un homme meurtri mais libre, ou celui d’un écrivain exilé de plus, condamné à contempler son pays à travers les vitres d’un hôpital européen.
Ironie de l’histoire , c’est en Allemagne, pays de Kafka, que Sansal — auteur d’« Le village de l’Allemand » — va poursuivre sa convalescence. Le symbole est parfait , un écrivain algérien, jugé trop dérangeant chez lui, recueilli par un pays qui connaît la valeur de la mémoire et le poids du silence.
Et Tebboune dans tout ça ?
Le président algérien, qui s’est voulu magnanime, espère sans doute que ce geste effacera un an d’embarras médiatique. Mais l’Histoire retiendra autre chose : qu’en Algérie, il faut parfois un fax venu de Berlin pour qu’un écrivain retrouve le droit d’être soigné.
Et pendant que Tebboune savoure ses lauriers humanitaires, une question reste suspendue dans l’air d’Alger .
Combien d’autres Sansal faudra-t-il encore gracier avant que la liberté ne soit plus une faveur, mais un droit ?