Quand le régime algérien découvre soudainement que la souveraineté n’est pas soluble dans une lettre venue de Berlin
Rime Medaghri
Boualem Sansal, l’écrivain franco-algérien que le régime avait soigneusement rangé derrière les barreaux pour “atteinte à la stabilité nationale”, vient de recouvrer la liberté — grâce, tenez-vous bien, à une prière venue d’Allemagne. Et comme toute fable algérienne moderne, celle-ci commence par une “grâce présidentielle” et se termine par une humiliation diplomatique soigneusement emballée dans un communiqué officiel.
La présidence parle d’un « geste humanitaire ». Berlin, elle, parle d’un « devoir moral ». Et à Alger, on parle surtout tout bas — parce que dans les couloirs feutrés du ministère de la Défense, on a bien compris que ce “geste” ressemble furieusement à un rappel à l’ordre.
Un humanitaire sous anesthésie diplomatique
Selon nos informations, le président allemand Frank-Walter Steinmeier aurait personnellement demandé la libération de Sansal, détenu depuis un an pour avoir confondu “roman” et “crime d’État”. Une requête à laquelle Abdelmadjid Tebboune a fini par céder, après avoir longuement pesé le pour et le contre… du maintien de sa propre chaise présidentielle.
Le régime a donc concédé la libération du plus célèbre prisonnier littéraire du pays, mais en essayant de la faire passer pour un acte de bonté souveraine. Une bonté qui, comme par hasard, coïncide avec la pression diplomatique la plus visible depuis la crise du gaz avec l’Espagne.
“Souveraineté” made in PR militaire
À l’intérieur du régime, la décision passe mal. Dans les cercles du général Saïd Chengriha, on parle d’une “faute symbolique majeure”, voire d’un précédent dangereux , si l’Europe peut obtenir la libération d’un écrivain, pourquoi pas demain celle d’un journaliste, d’un opposant, ou – sacrilège suprême – d’un citoyen kabyle qui ne croit plus aux promesses d’un État militaire éternel ?
Mais le plus ironique dans tout cela, c’est la communication officielle. En Algérie, le pouvoir adore se présenter comme “insensible aux pressions étrangères”, mais il n’a jamais résisté à un appel venu d’une chancellerie européenne. C’est un peu comme un boxeur qui jure qu’il est invincible… mais qui baisse les bras dès qu’on lui montre un passeport allemand.
Le roman d’une souveraineté en solde
Dans un pays où la rhétorique anti-occidentale est le dernier carburant idéologique du régime, libérer un écrivain à la demande de Berlin, c’est comme servir un couscous au ketchup , ça ne passe pas.
Les communiqués officiels insistent sur le “caractère humanitaire” de la décision, mais tout le monde comprend qu’on a simplement choisi la formule diplomatique la moins humiliante.
Car au fond, l’État algérien ne redoute pas l’ingérence étrangère. Il redoute qu’on découvre à quel point il y est dépendant — financièrement, diplomatiquement, et symboliquement.
Un pouvoir en apnée narrative
Cette “affaire Sansal” arrive dans un contexte explosif , inflation galopante, chômage record, provinces en colère, et un président de plus en plus contesté, même dans les cercles militaires. Le Hirak, qu’on croyait enterré, hante toujours les esprits. Alors, que reste-t-il au régime ? Une souveraineté qui se mesure à la vitesse avec laquelle on répond aux coups de fil venus d’Europe.
La libération de Boualem Sansal n’est donc pas qu’une victoire diplomatique allemande , c’est surtout la preuve éclatante que le régime algérien n’écrit plus l’histoire, il la corrige à la demande.
Et pendant que Sansal retrouve enfin la liberté à Berlin, le pouvoir à Alger découvre, lui, le sens littéral du mot “fiction politique”.