Islam de Belgique : l’État met un coup d’arrêt à une gouvernance sans légitimité
Bouchaib El Bazi
La ministre belge de la Justice, Annelies Verlinden (CD&V), a annoncé sa décision de ne pas reconnaître le Conseil des Musulmans de Belgique (CMB) comme organe définitif du culte musulman. Un refus motivé par les nombreuses zones d’ombre entourant le processus de constitution de ce Conseil, que la ministre qualifie de manque de représentativité, d’ouverture et de transparence.
Parallèlement à cette décision, la ministre a prolongé le mandat du CMB à titre transitoire pour une durée d’un an, afin d’assurer la gestion des affaires courantes du culte. Une manœuvre qui, loin de valider le modèle en place, vise à maintenir un minimum de continuité administrative dans l’attente d’une réforme plus profonde.
Parmi les voix musulmanes qui saluent cette position prudente, Ramadan Gjanaj, Politologue musulman , livre une analyse tranchante de la situation.
Une structure sans légitimité ni transparence
Dans un entretien accordé à notre rédaction, Ramadan Gjanaj qualifie la décision de la ministre de « sage et responsable ». Il dénonce un processus de renouvellement du culte musulman conduit par le CMB sans transparence, ni pluralisme, ni mandat communautaire clair :
« Je mets quiconque au défi de m’expliquer en quoi consiste réellement ce projet de renouvellement, qui a participé aux fameuses ‘commissions d’experts’, et quelle est la représentativité de ces personnes. »
Selon lui, le CMB, dans sa configuration actuelle, est une structure cooptée et imposée politiquement, issue d’un schéma hérité des anciens ministres de la Justice Vincent Van Quickenborne et Paul Van Tigchelt, sans jamais avoir été ni élu ni désigné par les acteurs musulmans reconnus.
Une représentativité largement surestimée
Le CMB affirme regrouper 60 à 65 % des mosquées du pays. Un chiffre que Ramadan Gjanaj qualifie de fantaisiste ,
« Dans les faits, à peine 80 mosquées, essentiellement d’origine marocaine, ont été associées à ce processus. Ce chiffre représente à peine 30 % des mosquées marocaines, et bien moins si l’on considère l’ensemble des 350 mosquées reconnues en Belgique. »
Il ajoute que la plupart des courants musulmans — belgo-marocains, belgo-turcs, pakistanais, convertis — ont refusé de participer à cette initiative qu’ils jugent non inclusive et non représentative.
Le politologue accuse les anciens ministres d’avoir instrumentalisé une frange minoritaire de la communauté musulmane pour la faire passer comme représentative de l’ensemble du culte ,
« Leur méthode a consisté à imposer une minorité docile en écartant systématiquement les structures religieuses existantes. C’est une tentative grossière de centralisation politique, sans base ni consensus communautaire. »
Une prolongation provisoire et non un blanc-seing
Face à l’impasse, la ministre Verlinden a préféré maintenir temporairement le CMB pour gérer les fonctions administratives essentielles , désignation d’imams, d’aumôniers, gestion des demandes de reconnaissance. Un choix que Ramadan Gjanaj interprète comme une solution pragmatique :
« Ce n’est pas une validation du modèle en place. Il s’agit d’un simple dispositif transitoire, en attendant qu’un véritable processus démocratique et pluraliste soit mis en œuvre. »
Un appel à repenser en profondeur la gouvernance du culte musulman
La décision de la ministre, bien que tardive pour certains, marque un tournant important dans la gouvernance du culte musulman en Belgique. Elle réaffirme l’exigence d’un organe représentatif légitime, transparent et issu d’un véritable consensus communautaire.
Ramadan Gjanaj conclut :
« L’islam de Belgique mérite mieux qu’une ASBL parachutée depuis un cabinet ministériel. Il faut une refondation sérieuse, inclusive et respectueuse de la diversité des sensibilités musulmanes du pays. Sans cela, on continuera à construire des façades institutionnelles sans fondation solide. »
À suivre : quelles pistes pour une refonte du cadre représentatif du culte musulman ? Et quelles garanties pour éviter une nouvelle impasse politique et communautaire ?