“Les Amis du Maroc” : une ASBL sans factures, mais avec buffet à volonté

Bouchaib El Bazi

À Bruxelles, il existe une ASBL d’un genre très particulier. Elle organise des conférences chics, elle occupe des salons prestigieux, elle invite des orateurs triés sur le volet et, cerise sur le couscous, elle ne semble jamais rien payer. Les Amis du Maroc , l’association qui fait de la diplomatie… sans compter. Littéralement.

Créée en 2019 pour “promouvoir l’image du Maroc”, cette ASBL présidée par le baron Francis Delpérée — ancienne éminence du Sénat belge reconvertie en animateur d’événements feutrés — multiplie les rendez-vous mondains sous couvert de dialogue culturel. Mais derrière les tapis rouges, les fleurs fraîches et les buffets cinq étoiles, une question dérange : qui paye ?

Le grand mystère des factures invisibles

Prenons le cas très concret de la soirée organisée le 15 mars 2023 à l’Hôtel de Ville de Bruxelles. Intitulée “La femme dans le Maroc d’aujourd’hui”, elle a réuni près de 400 convives dans la salle gothique, avec champagne, petits fours et discours officiels. Une opération de communication bien rodée, à mi-chemin entre la réception diplomatique et le gala de prestige.

Montant estimé de l’événement , entre 8 000 et 10 000 euros, selon des sources proches de l’administration communale. Or, surprise , le bilan annuel 2023 de l’ASBL ne mentionne aucune dépense liée à cet événement. Ni salle, ni traiteur, ni sono, ni même les fleurs. Rien. Nada. Silence comptable.

Une ASBL ou une antenne officieuse de l’ambassade ?

Alors, qui règle l’addition ? La réponse circule discrètement dans les couloirs , l’ambassade du Maroc elle-même. Selon plusieurs témoignages et confirmations indirectes, c’est bien Mohamed Ameur, ambassadeur du Maroc en poste à Bruxelles depuis 2016, qui “met la main à la poche”, comme l’a reconnu à demi-mot le personnel du Cercle Gaulois.

Plus encore , les invitations sont souvent envoyées par le personnel de l’ambassade, les listes d’invités sont validées au consulat, les discours sont relus rue Montoyer. En résumé, Les Amis du Maroc semble fonctionner comme une extension événementielle de la diplomatie marocaine, sans jamais en porter le nom. Ce qui pose une autre question : peut-on parler d’ingérence diplomatique voilée ?

Une diplomatie parallèle, mais légale ?

Sur le papier, tout est en ordre. Le baron Delpérée parle d’“association culturelle”. L’ambassadeur nie tout financement direct. Son avocat parle de “soutien logistique”, sans plus. Mais entre les non-dits et les omissions comptables, il devient difficile de croire à l’indépendance de l’ASBL. D’autant plus que les événements sont tous alignés sur les intérêts stratégiques du Maroc, notamment la défense du plan d’autonomie au Sahara marocain .

Rien sur la culture berbère, rien sur les mouvements citoyens, rien sur la liberté de la presse au Maroc. En revanche, le Sahara revient comme un refrain, à chaque colloque, chaque conférence, chaque coupe levée.

Et les médias belges dans tout ça ?

Silence radio. Aucun grand média belge ne s’est penché sérieusement sur le rôle réel de cette ASBL. Pourquoi ? Sans doute parce que l’association navigue dans une zone grise. Légale, certes, mais ambigüe. Un flou artistique soigneusement entretenu, qui permet d’inviter des figures politiques belges à des dîners élégants, sans jamais entrer dans le dur du sujet.

Un député retraité ici, une sénatrice socialiste là, quelques professeurs d’université et des diplomates désœuvrés. Des “amis” du Maroc, peut-être. Des relais d’influence ? On repassera.

Ce que le Maroc attend vraiment ?

La vraie question est là. Quel retour sur investissement pour Rabat ? Car entre les billets d’avion, les salles à 10 000 euros, les traiteurs haut de gamme et les bouquets protocolaires, la facture commence à peser lourd. Tout ça pour quoi ? Une photo dans Le Soir Illustré ? Une poignée de main avec un échevin de Schaerbeek ?

Le Royaume du Maroc mérite mieux qu’un club d’élite sans audience, sans impact, sans résultat.

Diplomatie parallèle ou divertissement bien payé ?

Les Amis du Maroc, c’est peut-être ça au fond , une ASBL vitrine, financée dans l’ombre, opérée dans le luxe, et inutile dans le fond. Une belle illusion de soft power, qui fait illusion… jusqu’au prochain buffet.

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