Algérie 2025 : Le cabas devient doctrine d’État

Majdi Fatima Zahra

On connaissait l’économie de rente, l’économie de guerre, et même l’économie circulaire. Mais l’Algérie de 2025 innove encore , voici venue l’ère de l’économie du cabas, version président Tebboune. Plus besoin de PME, d’industrie ou d’investissements étrangers , un bon sac de sport et deux billets low cost pour Istanbul suffisent désormais pour relancer la machine économique. Miracle d’un décret exécutif signé fin juin, qui consacre la légalisation de ce que tout le monde appelait jusqu’ici… la contrebande.

Le trabendou 2.0

On ne les appellera plus trafiquants ou contrebandiers. Non, en Algérie on innove sémantiquement. Ils seront désormais des “auto-importateurs”, reconnaissables à leurs valises XXL remplies de Ferrero Rocher, de shampoings douteux, de jeans turcs, de baskets sans logo identifiable et de sérums anti-âge achetés à la sauvette à Dubaï.

Le président Abdelmadjid Tebboune, dans un éclair de génie économique digne d’un prix Nobel inversé, a ouvert la voie à une nouvelle classe de héros du quotidien , les micro-importateurs sans registre, sans structure, sans traçabilité, mais avec une mission nationale. Car quoi de plus patriotique que d’inonder les marchés de produits non homologués au nom de la croissance ?

Commerce affectif et sabotage organisé

Dans un pays où l’importation formelle est un labyrinthe bureaucratique et où l’entreprise privée est traitée comme un complot, la débrouille devient doctrine officielle. Le cabas n’est plus seulement un moyen de survie, il est élevé au rang de pilier stratégique. L’État n’investit plus dans les usines, mais dans les valises.

Et comble du génie , ces vaillants auto-importateurs ne paieront que 5 % de droits de douane, pendant que les importateurs réguliers croulent sous 60 % de taxes et de formulaires kafkaïens. La fraude devient modèle. Mieux , ces micro-trafics bénéficieront d’un canal officiel… à condition d’acheter leurs devises sur le marché noir. Vous avez bien lu : le blanchiment de devises est désormais adoubé par décret présidentiel.

Zara peut plier boutique

Pourquoi implanter un magasin Zara à Oran quand Souad et Rachid peuvent vous ramener les mêmes robes en polyester en provenance directe de Turquie ? Pourquoi investir des millions en logistique, en douane, en TVA et en conformité quand il suffit d’un aller-retour Alger–Dubaï et d’un sac Samsonite ? La réponse est dans le décret. Et le message est clair : investissez ailleurs.

Pendant ce temps, les entrepreneurs algériens regardent, consternés, leur pays devenir un marché de valises. Un entrepreneur qui veut importer légalement des cosmétiques doit passer par 14 services de l’État. Un auto-importateur, lui, n’a besoin que d’un cousin à Marseille et d’un compte devise à la BEA.

Le populisme à roulettes

Il y a quelques mois, Tebboune promettait aux Algériens une hausse de la dotation touristique. 750 euros par adulte, 300 par enfant. Une révolution ! De quoi faire rêver toute une nation humiliée par des décennies de pénurie en devises. Las… La promesse s’est évaporée. Les guichets sont restés vides, les euros introuvables. Mais pas de panique : l’économie du cabas compensera.

Et pendant que le dinar plonge (265 dinars pour un euro au square), l’État encourage discrètement sa propre ruine en alimentant la demande parallèle en devises. Une économie cannibale où la Banque centrale joue contre son propre camp.

Bienvenue à Silly-Land

L’Algérie n’est plus un État. C’est un concept. Un théâtre absurde où le ridicule côtoie la tragédie, et où les décisions sont prises comme des blagues qu’on aurait mal comprises. L’éditorial du Matin d’Algérie l’a bien résumé , « Nous vivons dans Silly-Land. »

Un État qui légalise la contrebande, qui subventionne le marché noir, qui remplace l’industrie par la valise, et qui espère, en retour, stabilité sociale, croissance et souveraineté. La boucle est bouclée. Le système s’autodévore. Et les Ferrero Rocher trônent sur les étals, comme les nouveaux symboles d’un rêve national devenu délire institutionnel.

 

 

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