Bienvenue dans l’ère des États-hôpitaux psychiatriques, version ayatollahs et généraux. D’un côté, l’Iran, où l’on soigne la dissidence à coup de corde. De l’autre, l’Algérie, où l’on enferme les idées avant qu’elles ne deviennent des livres. Deux régimes que tout semble opposer – l’un priant en persan, l’autre jurant en français – mais qui partagent un même logiciel , la terreur d’État comme plan de gouvernement.
En Iran, l’espionnage est un art de vivre
Cécile Kohler et Jacques Paris, deux enseignants français partis faire du tourisme en République islamique, ont eu le malheur de croire que visiter l’Iran ne relevait pas du suicide diplomatique. Arrêtés en mai 2022, ils sont accusés – tenez-vous bien – d’avoir tenté de renverser la République islamique pour le compte du Mossad. Rien que ça. En d’autres termes, deux profs syndiqués se seraient soudainement transformés en agents doubles, experts en contre-révolution chiite.
Dans un pays où la peine de mort est plus fréquente que le wifi, les accusations n’ont plus besoin de preuve. Il suffit d’un montage vidéo diffusé à la télévision, de deux phrases sorties d’un contexte qui n’existe plus, et l’affaire est classée , espionnage, complot, corruption sur Terre. Oui, “corruption sur Terre” , un chef d’accusation façon apocalyptique, digne des procès de sorcellerie du Moyen Âge. À quand l’accusation de “vol d’âme par télépathie” ?
L’Iran ne gouverne plus , il marchande. Des otages contre des concessions. Des vies humaines contre des allègements de sanctions. C’est une diplomatie de la corde au cou, de la valise piégée et de l’interview forcée.
En Algérie, la pensée est un crime contre l’État
Mais pas besoin de turbans pour torturer la vérité. À Alger, les généraux en treillis ont troqué le Coran contre le Code pénal. Résultat , même absurde, même féroce. Christophe Gleizes, journaliste français, a été arrêté en pleine Kabylie, non pas pour avoir filmé une base militaire ou déclenché une révolution, mais pour avoir interviewé les mauvaises personnes dans un club de foot local. Résultat , sept ans de prison. Apologie du terrorisme. L’information est une arme de destruction massive, à condition d’être maniée par quelqu’un d’indépendant.
Et que dire de Boualem Sansal ? 80 ans, une plume acérée, un cancer en phase avancée, et cinq ans de prison pour avoir prononcé une phrase vraie sur les frontières marocaines. En Algérie, la géographie est une affaire de sécurité nationale, surtout quand elle dérange les mythes de la révolution éternelle.
Deux régimes, une même obsession : créer des coupables
En Iran comme en Algérie, on ne juge pas des faits, on juge des intentions. On ne punit pas les crimes, on punit les pensées. L’ennemi n’est jamais identifié mais toujours utile. Il permet de remplir les prisons, de faire taire les voix, de brandir l’étendard du patriotisme en pleine faillite morale. Le journaliste devient terroriste, l’écrivain devient séparatiste, l’étranger devient espion. On ne gouverne pas, on suspecte. On ne soigne pas, on condamne.
Pendant que les prisons débordent, les vrais fléaux prospèrent , corruption tentaculaire, exode massif des cerveaux, misère sociale, chômage endémique, économie en lambeaux. Le patriotisme devient une camisole pour contenir la colère populaire.
Et puis, il y a les morts qu’on enterre dans le silence
Tarek Bouslama, ex-PDG du groupe IMETAL, est décédé dans une cellule sans avoir jamais été jugé. Il a été transféré d’urgence de la prison de Koléa à l’hôpital Mustapha-Pacha, mais la justice algérienne, elle, n’était pas pressée. L’administration pénitentiaire a désormais un nouveau slogan , « Innocent jusqu’à preuve de survie. » À qui le tour ? Un écrivain de trop ? Un diplomate en balade ? Un passant avec une opinion ?
Une schizophrénie d’État à ciel ouvert
L’Iran des mollahs et l’Algérie des généraux, chacun à sa manière, ont transformé leur pays en musée de la répression, où chaque cellule raconte une histoire d’injustice. Ce ne sont plus des gouvernements mais des régimes de soupçon, des autocraties aux airs de théâtre kafkaïen. Le citoyen est présumé coupable, la vérité est classée top secret, et la justice se rend entre deux séances de torture.
Ils prétendent défendre la souveraineté ? Ils colonisent leurs propres peuples.
Ils se disent patriotes ? Ils trahissent leur jeunesse.
Ils accusent l’étranger ? Ils étranglent leur avenir.
Et pendant ce temps-là, les vrais terroristes sont tranquilles, bien au chaud dans les bureaux, entre deux fax signés “Top Secret” et trois conférences sur “la stabilité nationale”.
Bienvenue dans les Républiques de la Peur.