Élections au Maroc : les MRE, toujours invités à la fête… mais jamais à la table
Bouchaib El Bazi
Ils envoient des milliards en transferts, achètent des terrains à Oujda, construisent des villas à Agadir (qu’ils n’habitent que deux semaines par an), font vivre toute une économie parallèle de colis et de cabas, mais quand il s’agit de voter… silence radio. Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) sont ces électeurs mythiques que le régime chérit en discours, mais qu’il préfère tenir à l’écart des urnes, de peur sans doute qu’ils votent avec leur tête.
Et voilà que, comme tous les trois ou quatre ans, le serpent de mer du vote des MRE refait surface sous les ors feutrés du Parlement. Cette fois, c’est Nadia Bzendfa, députée du PAM, qui a joué la carte de la diaspora. Interpellant le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit, elle a demandé ce que comptait faire le gouvernement pour « assurer une participation effective des Marocains du monde aux prochaines élections ». Réponse , “Nous étudions la question”. Traduction : rangez vos stylos, ce n’est pas pour cette fois non plus.
La Constitution ? Un magnifique roman à ne pas prendre au pied de la lettre
Sur le papier, les choses sont claires , l’article 17 de la Constitution de 2011 promet aux MRE le droit de vote et d’éligibilité. En théorie, un médecin à Bruxelles ou une enseignante à Montréal pourrait briguer un siège au Parlement marocain. Mais dans la réalité, entre les files d’attente au consulat, les doubles nationalités suspicieuses et les machines électorales verrouillées, même l’idée d’un vote à distance paraît relever de la science-fiction.
« Le Maroc adore ses MRE comme on adore une photo encadrée sur la cheminée , ça rassure, mais on ne la consulte jamais », commente avec ironie le journaliste Bouchaib El Bazi, fin observateur des mirages institutionnels. « Leur droit de vote est sacré, oui, mais dans les discours du Trône. Une fois la kermesse médiatique passée, on leur demande gentiment de rester dans leur rôle préféré , celui du portefeuille. »
Le vote en exil , trop cher, trop risqué, trop lucide ?
La vraie crainte ? Ce n’est pas tant la logistique — après tout, on réussit bien à organiser des festivals subventionnés à Tokyo et des semaines culturelles à Oslo — mais le vote éclairé d’une population exposée à des contre-modèles. Les MRE ont vu d’autres types de régimes, d’autres niveaux de débat politique, d’autres façons de faire campagne… et surtout, d’autres manières de rendre des comptes. Bref, un électorat un peu trop informé pour les standards locaux.
Et puis, il y a la peur d’un Parlement où siégeraient des gens qui ne viennent pas du sérail. Un Franco-Marocain de Lyon avec un CV long comme un discours de Bensaïd, ou une binationale de Rotterdam qui parlerait à la fois néerlandais et droit constitutionnel… vous imaginez le scandale ? Les partis préfèrent manifestement les notables locaux, ceux qui savent quand applaudir, quand se taire, et surtout… pour qui voter.
2026 : vers un nouveau “non vote organisé” ?
Les élections de 2026 approchent, et les chances que les MRE puissent voter depuis Bruxelles, Montréal ou Dubaï sont, disons-le, aussi faibles qu’un débat parlementaire diffusé en prime time. Il faut dire qu’on a ses priorités , entre les calculs partisans, les enjeux d’équilibre régional et les éternels débats sur les listes électorales, la diaspora reste une variable d’ajustement — utile pour décorer les rapports, pas pour peser dans les urnes.
Alors, pour l’instant, les Marocains du monde continueront à voter avec leurs transferts bancaires, leurs achats immobiliers, et leurs likes nostalgiques sur les photos du bled. Mais de bulletin dans l’urne, point.
« Le Maroc aime ses MRE… à condition qu’ils ne se mêlent pas de politique. »