MRE : l’été du désamour avec le Maroc

Par Mimoun YAZIDI et Mohammed HASHAS

Plages désertées, hôtels en berne et une fracture qui ne dit pas son nom : l’été 2025 marque un tournant silencieux dans la relation entre les Marocains résidant à l’étranger (MRE) et leur pays d’origine. Ce n’est plus une simple baisse de fréquentation, mais l’expression d’un malaise profond, où se mêlent désintérêt économique, distanciation familiale et sentiment de relégation citoyenne.

Un été marocain sous vide

Les villes balnéaires marocaines donnent cet été une impression d’étrangeté. Là où les bouchons à l’entrée des villes et les embouteillages devant les cafés faisaient partie du décor estival, règne désormais un calme désarmant. Les établissements hôteliers affichent des taux d’occupation faméliques. Les plages, d’ordinaire animées par les retrouvailles intergénérationnelles des familles de la diaspora, résonnent d’un silence inhabituel. Les professionnels du tourisme, inquiets, observent une baisse de fréquentation qu’ils peinent à expliquer autrement que par un désamour croissant.

« C’est comme si les MRE avaient volontairement tiré le frein à main », confie un hôtelier de Saïdia.

Mais derrière ce vide apparent se cache un désengagement plus complexe et plus inquiétant.

Le coût de l’attachement

Bien sûr, les raisons économiques sont bien réelles. Entre la flambée des prix des billets d’avion – devenus inabordables pour des familles nombreuses – et l’inflation au Maroc, venir passer l’été au pays est devenu un luxe que beaucoup ne peuvent plus se permettre. Les locations saisonnières à Tanger ou à Marrakech atteignent les tarifs de la Costa Brava, quand elles ne les dépassent pas. Et la vie sur place, en dépit du dirham, devient de plus en plus contraignante.

Mais réduire ce recul estival à une simple équation budgétaire serait réducteur. Car au-delà du portefeuille, c’est l’attachement même à la terre d’origine qui semble s’éroder. Les démarches administratives – parfois kafkaïennes – n’ont pas évolué. Le sentiment d’être considérés uniquement comme des « pourvoyeurs de devises » reste vivace. Et l’impression d’être tenus à l’écart des grandes orientations nationales alimente un ressentiment grandissant.

L’effilochement du lien familial

Historiquement, le moteur du retour au pays pendant les vacances n’a jamais été l’aspect touristique, mais bien l’ancrage familial. Retrouver une grand-mère à Fès, des cousins à Oujda ou un oncle à Casablanca faisait partie du « pèlerinage affectif ». Mais cette dynamique s’essouffle. Les anciennes générations disparaissent, et les nouvelles – nées à Bruxelles, à Montréal ou à Milan – entretiennent un lien beaucoup plus distendu avec le Maroc. La langue, la culture et les codes sociaux se perdent.

Le Royaume n’est plus « la maison », mais une destination étrangère comme une autre – parfois même perçue comme hostile ou incompréhensible. Ce basculement générationnel, s’il n’est pas pris à bras-le-corps, menace la pérennité de toute politique diasporique.

Une citoyenneté en pointillés

Le malaise est aussi politique. Malgré les discours récurrents sur l’importance stratégique des MRE, la réalité reste celle d’un déficit de reconnaissance. Le droit de vote depuis l’étranger ? Toujours bloqué. La participation à la vie politique nationale ? Marginale. Les consultations sur les grandes orientations du pays ? Absentes.

Pourtant, Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’a eu de cesse de rappeler, dans ses discours de 2022 et 2024, l’importance vitale de maintenir un lien solide et multigénérationnel avec les Marocains du monde. Il avait appelé à lever les obstacles administratifs, à renforcer les institutions dédiées à la diaspora, et à cesser de considérer les MRE uniquement sous l’angle économique. Ces recommandations royales, pourtant claires et répétées, semblent avoir été archivées dans les tiroirs d’une bureaucratie déconnectée.

Une fracture qui interroge les pouvoirs publics

Cette désaffection estivale n’est pas un simple accident conjoncturel. Elle doit être lue comme un signal d’alarme. Car à travers l’absence physique, c’est un lien symbolique qui s’effiloche. Si les transferts d’argent restent élevés, le cœur n’y est plus. Et demain ? Que restera-t-il si la confiance continue de se déliter ?

Dès lors, plusieurs questions s’imposent. Pourquoi les recommandations royales peinent-elles à se traduire en actions concrètes ? Quelles sont les résistances internes – institutionnelles, politiques ou administratives – qui bloquent l’ambition affichée du Souverain ? Existe-t-il une réelle volonté, au sein du gouvernement, d’ériger les MRE en citoyens à part entière, et non en simples visiteurs estivaux ?

À force de retarder le moment du dialogue sincère avec sa diaspora, le Maroc risque de perdre un atout fondamental de son rayonnement international. Car ce n’est pas seulement l’économie qui est en jeu, mais une part de l’âme marocaine elle-même.

Une alerte, pas un adieu

L’absence des MRE cet été n’est pas un rejet, mais un avertissement. Il n’est pas trop tard pour renouer le lien. Encore faut-il cesser les effets d’annonce, et entamer un travail profond, structuré, et sincère. Le Maroc ne peut se permettre de perdre ses enfants d’ailleurs. Car sans eux, c’est une partie de son identité plurielle qui s’éteint doucement.

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