Diplomatie France-Algérie : le ton change, et la France claque la porte

Bouge El Bazi

Il fallait bien qu’un jour, la patience s’use. À force de silences polis, d’allers-retours stériles, et d’échanges feutrés entre sourds, Paris finit par poser le stylo : l’accord de 2013 sur les visas diplomatiques est officiellement suspendu. Finie la courtoisie administrative, place à la fermeté assumée. Emmanuel Macron, jusqu’ici adepte du « en même temps » avec le régime algérien, semble avoir rangé ses gants de velours au fond d’un tiroir. À la place, un courrier envoyé au Premier ministre, révélé par Le Figaro, où le président parle clair , la France est à bout.

Quand la diplomatie se heurte à un mur

Ce tournant n’est pas une lubie passagère. Il est l’aboutissement d’un ras-le-bol stratégique, né de l’accumulation de tensions structurelles , refus de coopération consulaire, entraves systématiques, silence sur la réadmission des expulsés, rétention prolongée de personnalités binationaux comme Boualem Sansal et Christophe Gleizes… La liste est longue, et Macron la récite avec une rigueur d’auditeur de la Cour des comptes.

Le chef de l’État ne parle plus de « partenaires ». Il parle d’« exigences ». À l’intérieur de cette nouvelle grammaire, plus rien n’est laissé au flou , suspension des visas pour les détenteurs de passeports de service, coordination européenne pour empêcher tout contournement (message codé pour l’Italie de Giorgia Meloni), activation du levier législatif « visa-réadmission », expulsion des ressortissants algériens jugés dangereux. On change de registre , de la diplomatie à l’ordonnancement.

Clause de confiance rompue

Ce n’est pas tant l’Algérie en tant que nation qui est visée, que son régime, figé dans une posture d’opposition systématique, selon l’analyse de l’Élysée. Le ton employé dans la lettre est révélateur , « Il aurait pu en être autrement. Désormais, nous n’avons pas d’autre choix ». Comme si la France était contrainte, par devoir de souveraineté, de faire le ménage dans ses illusions.

Ce changement de cap ne s’arrête pas aux portes de l’Élysée. Macron instruit l’ensemble du gouvernement , le Quai d’Orsay doit notifier la suspension de l’accord de 2013, l’Intérieur doit activer le levier CIAI (loi immigration de 2024), et les services consulaires doivent redevenir des bastions de contrôle, non des comptoirs de routine. On ne parle plus de visas, mais de leviers de pression.

Une coopération devenue fiction

Au cœur de cette inflexion, une réalité simple : Alger ne coopère plus. Ni sur les laissez-passer consulaires, ni sur les réadmissions, ni même sur les dossiers sensibles comme la dette hospitalière, les archives de la colonisation, ou les sites d’essais nucléaires. À cela s’ajoutent les restrictions imposées à l’ambassade de France à Alger, où les effectifs sont réduits de 30% par décision unilatérale des autorités algériennes. Macron constate le sabotage, et acte la conséquence : pas de retour à la normale sans levée des entraves. Pas d’ambassadeur, pas de consuls supplémentaires.

La France ferme la porte… mais pas à double tour

Ce durcissement n’est pas une rupture définitive, mais une mise en garde formelle. En coulisse, l’exécutif français laisse encore une lucarne entrouverte. Les consuls algériens déjà en poste en France peuvent rester. Mais pour en nommer d’autres, Alger devra d’abord relancer la coopération migratoire et consulaire, en commençant par la réadmission des personnes dangereuses.

Quant à la suite, elle dépendra de l’attitude d’Alger. Car derrière cette démonstration de force, un mot-clé persiste , conditionnalité. Macron ne veut plus accorder de confiance gratuite. La France ne se contentera plus de promesses verbales, elle attend des preuves concrètes. Et pour la première fois depuis longtemps, ce n’est pas Alger qui dicte le tempo.

En toile de fond, une relecture des rapports postcoloniaux

Ce qui se joue ici, c’est plus qu’un différend administratif. C’est un réajustement historique. Macron semble vouloir rompre avec la logique de culpabilité permanente, où la France devait toujours faire un pas de plus pour ménager une Algérie éternellement blessée. Désormais, la réciprocité n’est plus un souhait , c’est un impératif.

Reste à voir si le régime algérien, englué dans ses certitudes souverainistes, saura saisir la main encore tendue sous la poigne. Car si la France a choisi d’être ferme, elle n’a pas encore choisi la rupture. Pas encore.

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