Algérie : Dans les coulisses d’un pouvoir fragmenté, l’ascension silencieuse d’un homme de l’ombre
Rime Medaghri
Depuis son indépendance, l’Algérie évolue sous l’ombre portée d’un système politico-militaire opaque, jalousement verrouillé par une élite sécuritaire qui a façonné l’État et défini ses priorités. Mais rarement la mécanique interne du pouvoir n’a semblé aussi déséquilibrée, ni les centres de décision aussi éclatés qu’aujourd’hui.
Au sommet de la pyramide institutionnelle, un trio semble gouverner le pays — officiellement du moins. Un président, Abdelmadjid Tebboune, élu lors d’un scrutin sans véritable compétition ; un chef d’état-major omniprésent, le général Saïd Chengriha ; et un troisième homme, longtemps discret, devenu incontournable : Boualem Boualem, directeur du cabinet présidentiel.
Derrière l’organigramme officiel, c’est pourtant une autre lecture du pouvoir qui s’impose , celle d’un appareil étatique traversé par les méfiances, les notes secrètes et les rapports à double fond.
Tebboune, un président affaibli et sous contrôle
Les apparitions publiques d’Abdelmadjid Tebboune se succèdent, calibrées au millimètre, avec un discours lissé qui peine à masquer une réalité embarrassante : le chef de l’État semble de moins en moins maître du tempo politique.
Des sources proches du Palais évoquent un président « coupé du réel », dépendant de fiches préconçues et rarement impliqué dans l’élaboration des décisions majeures. Son agenda est verrouillé, ses interventions rarement improvisées, ses marges de manœuvre limitées par ceux qui contrôlent l’appareil sécuritaire.
L’image d’un président “garant de la stabilité” se fissure, laissant apparaître un dirigeant fragilisé, parfois marginalisé au cœur même du système qu’il est censé diriger.
Chengriha, le chef d’état-major sur la défensive
Figure redoutée du paysage institutionnel, le général Saïd Chengriha continue de dominer l’armée, mais son autorité n’a plus l’évidence qu’elle avait hier.
« Il marche sur des œufs », confie un colonel des services, évoquant un chef militaire moins assuré qu’il n’y paraît, surveillé, contourné ou pris dans des jeux d’équilibre internes.
Ses déplacements récents auprès des commandants régionaux témoignent d’une volonté d’assurer ses arrières dans une institution où la loyauté s’avère volatile et souvent conditionnée aux rapports de force au sommet.
Boualem Boualem : le nouvel architecte du pouvoir
Là où Tebboune paraît isolé et où Chengriha se replie sur son appareil militaire, Boualem Boualem, fonctionnaire sans éclat il y a encore trois ans, s’est imposé comme l’homme-clé du système.
Son influence ne tient ni à son rang protocolaire, ni à son exposition médiatique — quasi nulle — mais à un élément autrement plus déterminant : sa maîtrise de l’information sensible.
Selon des fuites internes concordantes, le directeur de cabinet aurait accumulé un arsenal politique potentiellement dévastateur :
- preuves de détournement de fonds militaires,
- documents sur des concessions énergétiques opaques,
- éléments de conflits d’intérêts liés à la famille Chengriha,
- enregistrements clandestins de réunions confidentielles,
- rapports sur des opérations secrètes en Afrique ayant tourné court.
« Boualem connaît les failles de tout le monde. Il sait où appuyer et quand », explique une source sécuritaire.
La rivalité organisée : une stratégie de gouvernance
L’opposition tacite entre Tebboune et Chengriha, longtemps vue comme le moteur — ou le talon d’Achille — du pouvoir algérien, serait désormais instrumentalisée par Boualem Boualem.
Des responsables au sein du système affirment que le directeur de cabinet transmettrait des bribes d’informations aux uns et aux autres, alimentant une atmosphère de suspicion.
Rien d’explosif, jamais frontal. Juste assez pour entretenir l’inquiétude, et donc la dépendance.
Dans ce climat de méfiance mutuelle, aucune décision majeure n’est prise sans son aval officieux. De la gestion économique aux dossiers énergétiques, en passant par la communication diplomatique, l’État fonctionne dans une forme d’improvisation permanente, où les priorités évoluent au gré des tensions internes.
Un pays sans pilote, un système verrouillé
Alors que l’Algérie fait face à une crise économique prolongée, à une chute des revenus énergétiques et à une diplomatie hésitante, l’appareil d’État semble naviguer à vue.
Des diplomates étrangers évoquent une fronde silencieuse parmi certains généraux, inquiets de voir l’armée reléguée à un rôle d’exécutant, au profit d’un civil qui concentre un pouvoir inédit.
Le président, lui, renforce la sécurité de sa résidence. Le général Chengriha reconsolide ses soutiens régionaux.
Et Boualem Boualem continue de placer ses fidèles, restructurer les administrations et verrouiller les médias publics.
Un régime tenu par la peur
« Si l’un tombe, les deux tombent. C’est la clé de la stratégie Boualem », analyse un ancien officier.
Un président qui n’ose plus agir, un chef militaire qui avance prudemment, un directeur de cabinet qui orchestre les rapports de force depuis les coulisses : le schéma s’est inversé.
Le pouvoir algérien ne repose plus sur un duo armée-présidence, mais sur une triangulation tordue où le seul pôle stable est celui qui ne figure dans aucun communiqué officiel.
L’ombre a remplacé le centre
À Alger, beaucoup parlent d’un régime à bout de souffle, où les institutions survivent par inertie tandis que l’essentiel se décide dans un bureau discret du Palais d’El Mouradia.
L’homme fort du pays n’a ni uniforme ni légitimité électorale. Il n’apparaît pas sur les photos officielles. Il ne prononce pas de discours. Mais c’est lui qui orchestre les équilibres, entretient les rivalités, verrouille les décisions.
Dans l’Algérie politique de 2025, le centre du pouvoir n’est plus au sommet : il est dans l’ombre.