Au consulat du Maroc à Las Palmas, le harcèlement moral comme protocole diplomatique ?
Bouchaib El Bazi
Il y a des postes diplomatiques qui brillent par leur finesse stratégique, leur capacité à apaiser les tensions internationales ou à tisser des alliances subtiles. Et puis, il y a le consulat du Maroc à Las Palmas de Gran Canaria, où l’innovation semble avoir pris une tout autre forme , la créativité en matière de harcèlement moral.
Le tribunal des affaires sociales n° 9 a tranché : 20 000 euros de dommages et intérêts à verser à un employé administratif transformé, contre son gré, en chauffeur à temps complet, assistant personnel improvisé, coursier multifonction et mur invisible pour éviter de parler aux collègues. Une polyvalence impressionnante, si seulement elle n’était pas le symptôme d’un management à la fois autoritaire, fantaisiste et, disons-le, diplomatiquement embarrassant.
Quand la diplomatie devient service VTC
L’histoire commence en 2008, lorsque l’employé — que l’on imagine naïvement convaincu d’entrer dans une administration normale — s’installe dans la routine consulaire. Tout va bien jusqu’en septembre 2022, date d’arrivée de la nouvelle consule, qui semble avoir revisité à sa manière le manuel du management moderne.
Le tribunal parle de harcèlement au travail. Les faits, eux, évoquent plutôt un remake de « Cendrillon à la chancellerie ». L’agent, d’abord muté sans explication à un poste de chauffeur « disponible à toute heure » (on ignore si cela incluait les caprices nocturnes), est ensuite exilé dans un bureau vide. Pas de tâches, pas de collègues, pas même un brin de dignité professionnelle. Une solitude administrative kafkaïenne, mais sans l’élégance littéraire.
Cerise sur le tajine , les missions « privées » de la consule. Récupérer de la nourriture, transporter les enfants… le tout sans remboursement. Un détail que la justice espagnole, peu sensible au charme de la diplomatie à la marocaine, a qualifié d’atteinte grave à la dignité et aux droits fondamentaux.
Le stress post-traumatique comme fiche de poste
On pourrait croire à une exagération, mais un rapport psychologique est venu confirmer ce qu’on pressentait , l’employé souffre d’un trouble de stress post-traumatique complexe, conséquence d’un « environnement de travail hostile ». Il a fallu un long congé médical pour réparer les dégâts, pendant que le consulat, lui, poursuivait sa routine comme si de rien n’était.
Encore mieux , malgré une décision judiciaire exigeant sa réintégration dans ses fonctions initiales, l’employé est renvoyé dans… un vide administratif. La même chaise, le même bureau, mais toujours aucune tâche. Une réintégration façon consulat , on respecte la lettre, on fusille l’esprit.
Il demandait 30 000 euros. Le tribunal lui en accorde 20 000. Une somme que l’on pourrait considérer raisonnable, même si elle semble bien modeste comparée au prix d’un harcèlement diplomatique premium.
Un cas isolé ? Certainement pas. Une méthode ? Peut-être.
Comme si le tableau n’était pas assez sombre, une autre employée, dans une situation similaire, a été envoyée dans un étage isolé, installée dans un bureau vide — un décor parfait pour un film sur la bureaucratie absurde. Là encore, en dépit de décisions judiciaires précédentes, le consulat aurait persisté dans son obstination. Le pouvoir judiciaire espagnol, visiblement fatigué de répéter, a dû assortir son rappel à l’ordre d’une menace de sanction financière. Peut-être la seule langue que certains établissements comprennent vraiment.
Un jugement contestable… mais un malaise incontestable
Le verdict peut encore être porté devant la Cour suprême de justice des Canaries. Mais quel que soit l’avenir judiciaire de cette affaire, elle laisse derrière elle un parfum entêtant , celui d’une institution où la diplomatie semble s’être muée en gestion féodale, où l’autorité administrative flirte dangereusement avec l’arbitraire.
Le Maroc, qui modernise à grande vitesse ses infrastructures, son administration centrale et son image internationale, aurait sans doute préféré éviter ce genre d’épisode embarrassant, où un consulat ressemble moins à un relais du Royaume qu’à un laboratoire de pratiques managériales d’un autre âge.
Et si, finalement, la diplomatie moderne commençait par un détail simple , traiter les employés comme des êtres humains ? Un concept révolutionnaire, semble-t-il, dans certains couloirs feutrés de Las Palmas.