L’excuse de Younes Moujahid aux avocats ne parvient pas à apaiser la colère des journalistes au Maroc

Majdi Fatima Zahra

La controverse née de la diffusion de vidéos issues d’une réunion interne de la Commission de déontologie de la presse continue de secouer le paysage médiatique marocain. Malgré un message d’excuse adressé par Younes Moujahid, président du comité provisoire chargé de la gestion du secteur de la presse et de l’édition, au président de l’Association des barreaux du Maroc, la tension demeure palpable et s’étend désormais au sein de la profession journalistique elle-même.

À l’origine du tumulte se trouvent des séquences vidéo publiées sur les réseaux sociaux par le journaliste Hamid El Mahdaoui. Provenant d’un huis clos consacré aux questions disciplinaires, elles contenaient des propos perçus comme injurieux envers les avocats chargés de défendre El Mahdaoui dans plusieurs procédures. L’indignation a été immédiate, les représentants du barreau dénonçant une atteinte manifeste à la dignité de la profession et une représentation déformée de son rôle essentiel dans la garantie des droits et libertés.

Dans une lettre adressée au président des barreaux, Hussein El Ziyani, Younes Moujahid a exprimé ses regrets et affirmé que les passages diffusés avaient été montés selon une interprétation personnelle de leur auteur, détachée du contexte réel de la réunion d’avril dernier. Il a insisté sur le caractère illégal de leur diffusion et a réitéré le respect qu’il porte aux avocats mobilisés dans la défense du journaliste mis en cause.

Cette prise de position n’a pourtant pas suffi à désamorcer la crise. Plusieurs avocats influents, dont Omar Daoudi, membre de l’équipe de défense d’El Mahdaoui, ont rejeté l’excuse, jugée insuffisante et révélatrice d’une attitude condescendante. Ils ont confirmé leur intention d’engager des poursuites judiciaires contre Moujahid et contre Khalid El Houri, membre de la Commission de déontologie, qui avait lui aussi présenté une excuse individuelle en précisant que ses propos relevaient d’un échange strictement interne.

Le barreau de Rabat, par la voix de son bâtonnier Abdelaziz Errouibeh, a tenu à préciser qu’aucune hostilité ne vise la profession journalistique, tout en soulignant que les conséquences de ces déclarations ne sauraient être effacées par un simple message de regret. La possibilité d’une action judiciaire reste d’actualité, notamment pour déterminer les conditions dans lesquelles ces vidéos ont été divulguées.

La commission dirigée par Moujahid a annoncé l’ouverture d’une enquête interne afin de vérifier l’authenticité des vidéos, de définir leur contexte exact et d’évaluer leur conformité aux règles éthiques qui encadrent les travaux disciplinaires. Cette démarche, présentée comme une nécessité pour garantir le sérieux institutionnel de la profession, n’a pas suffi à dissiper les doutes quant à l’indépendance et à la transparence des organes de régulation du secteur.

La contestation a pris une ampleur plus large lorsque des dizaines de journalistes ont rendu publique une pétition réclamant la démission immédiate de Moujahid. Pour ses détracteurs, son maintien à la tête du comité provisoire porte atteinte à la crédibilité de l’institution qu’il représente. Sur les réseaux sociaux, plusieurs commentateurs ont critiqué un responsable censé défendre la presse mais accusé de mettre à mal ses alliés naturels dans la protection de la liberté d’expression.

Cette polémique intervient dans un contexte institutionnel délicat, notamment depuis que Moujahid a annoncé, en novembre dernier, son retrait du Syndicat national de la presse marocaine en dénonçant ce qu’il considérait comme des dysfonctionnements internes. Pour ses opposants, cette décision est un signe supplémentaire du décalage entre ses exigences statutaires et son propre mode de gouvernance.

La question a finalement atteint la scène politique lorsque le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaïd, s’est exprimé devant le Parlement le 24 novembre. Il a condamné toute pratique contraire à l’éthique professionnelle et rappelé que la consolidation des institutions constitue une priorité dans le processus de modernisation du secteur des médias.

Ainsi, malgré l’excuse adressée aux avocats, la crise demeure ouverte et révèle des fissures profondes dans les relations entre la presse et les professions judiciaires. Plus largement, elle met en lumière une interrogation fondamentale sur la capacité des instances de régulation à garantir une gouvernance exemplaire et à préserver la confiance d’un secteur déjà fragilisé.

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