Dans un pays où l’on vote plus facilement pour un plat de carbonnades flamandes que pour une réforme budgétaire, il fallait oser , le gouvernement De Wever–Bouchez a proposé, en une seule semaine, de toucher à tout ce que les Belges considèrent comme sacré. Les pensions ? Revisitées. L’indexation ? Mise au frigo. La TVA ? Un concept extensible, visiblement extensible vers le haut. Et l’énergie ? Légèrement plus chère, pour des raisons que seuls les experts et les comptables obscurs des cabinets ministériels semblent comprendre.
Mais voilà que l’imposante machine gouvernementale se grippe déjà.
Selon les informations qui circulent, les ministres n’arrivent même plus à s’entendre sur la manière de bloquer l’indexation ou d’augmenter la TVA. Un détail technique, diront certains. Un détail qui décide du mois de fin de mois, diront les autres.
Quand l’accord gouvernemental ressemble à un meuble Ikea sans notice
Les annonces faites la semaine dernière se voulaient fermes, définitives, “responsables”. Mais à peine une poignée de jours plus tard, voilà que l’on découvre qu’aucune loi n’a été rédigée, aucune majorité consolidée, et aucune feuille de route stabilisée.
Un peu comme si le gouvernement avait annoncé fièrement avoir monté une bibliothèque Billy… alors qu’il n’a trouvé ni la clé Allen, ni les planches.
Dans les couloirs du pouvoir, on admet en privé que la pression sociale est “considérable”. Dans la rue, on emploie un terme légèrement moins diplomatique : “on ne paiera pas leur facture”.
« Personne n’a voté pour ça » : une phrase qui résume un malaise national
C’est l’argument martelé par l’opposition, et il rencontre un écho certain :
aucun parti de cette coalition n’avait promis, noir sur blanc, de geler l’indexation ou de durcir encore la facture énergétique. Au contraire , tout le monde promettait de “récompenser le travail”.
Mais la politique est parfois une discipline étrange où “récompenser” peut signifier “facturer plus cher”.
Une innovation sémantique qui fera sans doute l’objet d’un séminaire universitaire dans quelques années.
Le gouvernement joue les costauds… mais tremble comme un étudiant avant un oral .
Officiellement, tout va bien. Les négociations avancent. Les partenaires sont sereins.
Officieusement, personne n’a de réponse claire, chacun défend sa ligne rouge, et la coalition ressemble de plus en plus à une table de poker où tout le monde bluffe en espérant que personne ne remarquera le tremblement des mains.
La députée Sofie Merckx n’a pas manqué de souligner cette fragilité en invitant le monde syndical à maintenir la pression. L’idée est simple : tant que rien n’est voté, tout peut encore basculer. Et dans un pays où un gouvernement tombe parfois pour moins qu’une virgule déplacée dans un accord, on ne saurait lui donner tort.
Un exécutif qui veut aller vite… mais qui n’a même pas mis ses chaussures
C’est là tout le paradoxe du moment :
un gouvernement qui se présente comme fort, structuré, décidé, mais qui peine à trouver un accord interne sur les réformes qu’il veut imposer à la population.
Un gouvernement qui parle de “courage politique” tout en repoussant chaque semaine la finalisation des textes.
Un gouvernement, enfin, qui voulait marquer l’histoire en quelques jours… et qui pourrait bien provoquer une mobilisation sociale historique à la place.
Et maintenant ?
Le bras de fer ne fait que commencer.
Rien n’est joué, rien n’est voté, rien n’est verrouillé.
Les partis au pouvoir savent qu’une étincelle suffit à renverser l’opinion publique — et que les prochains jours seront décisifs.
Reste une certitude : dans cette séquence, ce ne sont ni les chiffres, ni les tableaux Excel, ni les modèles macroéconomiques qui auront le dernier mot.
Ce sera la rue, la pression sociale, et la capacité du gouvernement à tenir… ou à reculer.
La Belgique, fidèle à elle-même, avance ainsi au bord du précipice, mais avec humour :
un pays où l’on sait très bien qu’un accord gouvernemental n’est jamais vraiment un accord… tant qu’il n’est pas imprimé, voté, et validé par trois régionales, deux comités ministériels et la moitié du royaume.
En attendant, chacun retient son souffle — sauf la population, qui, elle, continue de respirer très fort.