Fuite au sein de la Commission de l’éthique : quand un débat professionnel devient affaire publique

Par Bouchaib El Bazi

Dans une séquence rare où les coulisses institutionnelles s’invitent au cœur de l’espace public, Abdellah Bekkali, membre de la Commission de l’éthique et des affaires disciplinaires du Conseil national de la presse, a livré une version détaillée de ce que les médias ont baptisé « la fuite de la réunion de la Commission de l’éthique », un épisode qui a brusquement dépassé le cadre professionnel pour devenir un sujet de débat national – et, désormais, international.

Du devoir de réserve au devoir de parole

Longtemps attaché au silence que lui imposait son rôle au sein du Conseil, Bekkali affirme que le vacarme suscité par la fuite ne lui permettait plus de maintenir son devoir de réserve. Dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube, il explique que l’évocation répétée de son nom l’a poussé à éclaircir ce qu’il considère comme un débat déformé, détourné de ses fondements professionnels.

Mais le point de bascule de son intervention réside dans son avertissement , le dossier est en train d’être instrumentalisé pour régler des comptes personnels, un glissement qu’il juge dangereux non seulement pour l’institution, mais aussi pour l’image de toute une profession. Selon lui, la Commission a travaillé pendant des mois dans le respect strict des règles déontologiques, et la mettre aujourd’hui en accusation serait une manière « injuste » de minimiser son travail.

Fuite illégale, publication légitime ?

Si Bekkali condamne sans nuance la fuite – « un acte grave et pénalement sanctionné » –, il distingue néanmoins entre « fuite » et « publication ». Selon lui, la diffusion du contenu par des journalistes et des plateformes numériques peut relever du débat public et du droit du citoyen à savoir ce qui se passe dans une institution publique. Un positionnement nuancé, qui interroge les frontières entre transparence, responsabilité et protection des délibérations internes.

En parallèle, il rejette fermement les campagnes de diffamation visant certains membres de la Commission et affirme sa solidarité avec eux.

Le dossier Mahdaoui : du renouvellement de la carte à “l’odeur du ciblage personnel”

Le volet le plus sensible de sa déclaration concerne la demande de renouvellement de la carte de presse du journaliste Hamid Mahdaoui. En tant que président de la Commission chargée de l’attribution, Bekkali affirme avoir examiné le dossier et constaté qu’il remplissait les mêmes conditions qui avaient permis l’octroi de la carte précédemment.

Après l’écoulement du délai légal sans réponse, il a apposé son visa favorable. Mais la surprise fut totale lorsque la décision a été annulée et le dossier replacé dans la rubrique « en cours de traitement ».

La justification avancée ? L’opposition d’un membre chargé du pôle de la presse électronique, selon lequel le revenu principal de Mahdaoui proviendrait de YouTube. Bekkali dénonce un critère appliqué de manière sélective, qui – s’il était réellement appliqué – toucherait « des dizaines de cas » au sein du secteur.

Il raconte avoir exprimé son désaccord, exigé que sa position figure dans le procès-verbal, puis quitté la réunion, considérant que le processus « sentait le ciblage personnel ».

Un paradoxe juridique : retirer une carte qui n’a pas été délivrée ?

La suite des événements ajoute une couche supplémentaire de confusion. Alors que l’assemblée générale a validé la décision de refus, la Commission de l’éthique a ensuite adopté une sanction prévoyant le retrait de la carte pour une durée d’un an.

D’où la question rhétorique posée par Bekkali :

« Comment retirer une carte qui n’a jamais été attribuée ? »

Des plaintes disciplinaires à la logique contestée

Abordant les plaintes examinées par la Commission, Bekkali précise que la première, liée à des accusations d’incitation, s’est soldée par un classement sans suite, avec recommandation de supprimer la vidéo – ce que Mahdaoui a fait immédiatement.

La deuxième plainte, en revanche, lui paraît « étrange » : elle est fondée sur une déclaration faite par Mahdaoui en dehors du tribunal, un élément qui – selon Bekkali – ne relève pas du champ strict de la responsabilité professionnelle du journaliste.

Il affirme également avoir refusé d’assister à la réunion dont la vidéo a fuité, estimant que le processus n’était plus « saine ».

Conclusion de Bekkali : “Tout ce qui est construit sur une erreur demeure erroné.

En conclusion, Bekkali revendique une conscience tranquille, assurant que sa position ne répond à aucune logique politique, mais à un engagement éthique. Selon lui, toute la chaîne de décisions liée à ce dossier est « nulle », car bâtie sur des bases viciées – et devra être réexaminée lors du prochain mandat du Conseil.

Crise de procédures ou crise de confiance ?

Ce que révèle cette affaire dépasse largement le cas Mahdaoui. La fuite, l’enchaînement des décisions contradictoires, les interprétations divergentes des règles… tout concourt à montrer une fragilité structurelle dans la gouvernance du Conseil national de la presse.

Sommes-nous face à une crise de procédures ? Ou à une crise de confiance plus profonde entre la profession et son organe régulateur ?

Une chose est certaine , tant que les mécanismes de décision resteront opaques ou contestés, le secteur continuera à naviguer entre suspicion, surenchère et polémiques.

Et au centre de tout cela demeure la question essentielle , qui protège le journaliste quand l’arène institutionnelle elle-même devient source de controverses ?

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