Vide religieux et confusion administrative : où va le Conseil des Musulmans de Belgique ?

B-El Bazi

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Parfois, la vie institutionnelle belge ressemble à une pièce de théâtre absurde où les acteurs improvisent, le décor s’effondre et le public hésite entre rire et consternation. Le Conseil des Musulmans de Belgique (CMB), censé gérer le culte islamique, offre aujourd’hui un exemple parfait de cette dramaturgie bien locale , une instance installée dans la précipitation, dirigée par des personnes éloignées du champ religieux, et en proie à un vide juridique qui rappelle davantage un exercice de style bureaucratique qu’un modèle de gouvernance spirituelle.

Un président désigné… en plein pèlerinage

Tout commence avec la démission de Maimoun Akaichoua et Taha Zaki, deux personnalités connues dans la gestion du culte musulman.

Leur remplacement par Hassan Bouchtataoui, inconnu du paysage religieux belge, a surpris autant les fidèles que les observateurs institutionnels. Plus étonnant encore , il a été désigné président alors qu’il accomplissait le pèlerinage à La Mecque, sans assister à la réunion officielle de la structure.

D’un point de vue juridique, cette nomination “à distance” laisse planer un sérieux doute sur la régularité des procédures.

D’un point de vue institutionnel, elle illustre un malaise plus profond , un conseil qui commence son mandat en étant représenté par un président… physiquement absent.

Un manque d’expertise… et un rejet massif des mosquées

Les critiques n’ont pas tardé à surgir. La composition du conseil est perçue comme faiblement qualifiée, déconnectée des réalités du culte, et surtout incapable d’inspirer la confiance des communautés musulmanes.

Cette défiance s’est rapidement matérialisée :

  • des mosquées turques,
  • plusieurs mosquées albanaises,
  • et un nombre significatif de mosquées marocaines

ont annoncé qu’elles refusaient de reconnaître le CMB dans sa forme actuelle. Beaucoup y voient une structure imposée « par le haut », notamment par l’ancien ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, sans réelle consultation des acteurs religieux de terrain.

Le conseil, censé être un espace de concertation, se retrouve ainsi transformé en institution “hors-sol”, davantage perçue comme un appendice administratif que comme un organe représentatif.

“Journée de la paix”… ou jour de malaise institutionnel

Une scène en particulier a marqué les esprits , lors d’une rencontre organisée par la communauté juive à l’occasion du “Journée de la paix”, c’est la secrétaire générale, Delphine Laroche, qui a pris la parole… au nom de tous les musulmans de Belgique.

Un fait surprenant , son rôle est strictement administratif, sans légitimité religieuse ni expertise théologique.

Cet épisode a immédiatement soulevé une avalanche de questions :

  • Qui représente réellement le culte musulman ?
  • Qui a mandaté la secrétaire générale pour parler en leur nom ?
  • Comment un conseil religieux peut-il déléguer son discours à une personne dont les compétences ne relèvent pas du domaine cultuel ?

Ce moment de flottement illustre l’un des symptômes les plus graves du CMB , une confusion totale entre les responsabilités religieuses et les tâches administratives.

Un mandat temporaire… déjà hors piste

Théoriquement, le conseil a une mission claire jusqu’au 30 juillet 2026 : préparer la création d’une instance représentative durable et légitime.

Dans la pratique, il s’en éloigne chaque jour un peu plus. Plutôt que de travailler sur les bases juridiques et organisationnelles de la future instance, les membres du conseil multiplient les visites dans les mosquées pour discuter… de la question de reconnaissance des lieux de culte.

Or cette thématique relève exclusivement des autorités publiques et de la législation régionale — pas des compétences du CMB.

Cette dérive est perçue par plusieurs responsables religieux comme une tentative maladroite de se donner une légitimité par des actions symboliques, voire opportunistes. Certains parlent même de “recyclage” de vieux projets hérités de l’Exécutif des musulmans de Belgique, sans vision ni stratégie.

Un culte relégué au second plan par les autorités

Le contexte politique n’arrange rien.

Pour une grande partie des responsables belges, la gestion du culte islamique n’est pas une priorité. Le Conseil des Musulmans est considéré comme une structure administrative, incapable légalement de :

  • nommer des imams,
  • assurer leur formation,
  • superviser la pratique religieuse,
  • ou gérer les questions doctrinales.

Une position que le président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, Mehmet ÜSTÜN, a rappelée fermement en mettant en garde les mosquées contre toute collaboration institutionnelle avec le conseil actuel, qu’il juge dépourvu de base légale suffisante.

Salaires imaginaires, notes de restaurant et démissions

Comme si les difficultés structurelles ne suffisaient pas, le conseil fait aussi face à des malentendus internes. Certains membres pensaient que leur fonction était rémunérée, assortie de frais de mission. Lorsqu’ils ont découvert qu’il s’agissait en réalité d’un engagement bénévole, plusieurs ont quitté le navire.

Le président Hassan Bouchtataoui a même officiellement sollicité un salaire mensuel auprès des autorités — une demande incompatible avec les textes encadrant son rôle.

Un autre membre, Rachid Malihou, a réclamé des indemnités pour ses vêtements et frais de restaurant, ce qui a alimenté l’impression d’une institution confuse quant à sa raison d’être.

Un conseil en quête d’identité… et une communauté en attente de représentation

La crise que traverse aujourd’hui le Conseil des Musulmans de Belgique dépasse largement les querelles internes ou les maladresses administratives. Elle révèle :

  • un vide de représentation religieuse,
  • un manque de compétences au sein du conseil,
  • un interventionnisme politique mal calibré,
  • et une rupture profonde entre l’instance et les communautés musulmanes.

À ce stade, le CMB semble chercher à se définir lui-même avant de prétendre représenter qui que ce soit.

La grande question demeure :

Quand les musulmans de Belgique pourront-ils enfin élire démocratiquement leur propre organe représentatif ?

Car tant que des conseils seront désignés sans consultation réelle, les institutions continueront de se succéder… et d’échouer.

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