Kabylie, 14 décembre : un tournant historique qui rebat les cartes entre identité et État
Bouchaib El Bazi
À quelques jours d’un rendez-vous que la direction du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) qualifie de « moment de rupture », la région kabyle semble se diriger vers une étape sans précédent dans son rapport à l’État algérien. L’annonce de l’indépendance de la Kabylie, prévue le 14 décembre lors d’une cérémonie organisée à Paris, n’est plus, selon les dirigeants du mouvement, un simple geste symbolique mais bien une démarche « irréversible », destinée à projeter la question kabyle sur la scène diplomatique internationale.
Dans un entretien récent, Aksel Belabbaci, vice-président du MAK, assure que le mouvement vit, depuis plusieurs semaines, une véritable « course contre la montre » pour garantir la réussite de l’événement, qui doit réunir des personnalités politiques, académiques et culturelles venues de plusieurs continents. L’objectif est clair : internationaliser une cause longtemps confinée à l’intérieur des frontières algériennes.
Un événement minutieusement préparé, aux ambitions internationales affirmées
La cérémonie se tiendra dans une salle parisienne prestigieuse, dotée d’une symbolique que le mouvement préfère garder secrète pour l’instant. Environ 1 200 personnes sont attendues. Le MAK confirme déjà la présence de parlementaires canadiens et français, de représentants d’un parti politique israélien, ainsi que d’autres invités jugés « stratégiques », dont les noms ne seront dévoilés que le jour J afin d’amplifier l’impact médiatique.
La diversité des intervenants attendus — chercheurs, responsables politiques, figures culturelles — constitue un axe essentiel de la stratégie kabyle. Il s’agit, selon les organisateurs, de montrer que la question kabyle n’est pas un simple épiphénomène local, mais un dossier analysé et soutenu par des acteurs internationaux indépendants du mouvement.
Le choix du 14 décembre s’inscrit dans une logique historique : il renvoie à l’adoption, à cette date en 1960, de la résolution 1514 de l’ONU sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux. Belabbaci affirme que ce clin d’œil chronologique entend replacer la Kabylie dans la continuité des luttes universelles pour la souveraineté, rappelant à la communauté internationale que « la liste des peuples concernés n’a pas été mise à jour depuis 1961 ».
L’après-annonce : le passage annoncé du militantisme au travail diplomatique
Pour le MAK, l’événement parisien ne constitue ni une fin en soi ni une proclamation abstraite. Belabbaci insiste : « Le 14 décembre marque le début d’une nouvelle étape », centrée sur l’action diplomatique. Des rencontres avec plusieurs gouvernements étrangers seraient déjà programmées dans les jours suivant la cérémonie, dans l’espoir d’obtenir des signaux de reconnaissance ou, à tout le moins, d’ouverture.
Si les dirigeants refusent de nommer les États approchés, ils affirment que « des discussions sont en cours sur plusieurs fronts » et que l’objectif est de bâtir progressivement un réseau d’appuis internationaux.
L’Algérie sous tension : riposte politique et mobilisation parallèle
Face à cette initiative, les autorités algériennes semblent préparer une réaction musclée. Selon les responsables du MAK, des dizaines d’autocars auraient été affrétés pour acheminer à Paris des manifestants chargés de dénoncer l’annonce d’indépendance et de réaffirmer l’attachement à l’unité nationale algérienne. Belabbaci minimise l’impact de cette contre-manifestation, y voyant « une tentative de diversion ».
Sur le terrain, en Kabylie, la situation demeure fragile. La région porte encore les stigmates des événements de 2021, et des centaines de militants sont toujours emprisonnés. Le MAK redoute une intensification de la répression à l’approche du 14 décembre, même si Belabbaci estime que « le pouvoir hésitera à provoquer une explosion sociale dans une région déjà en tension ».
Du statut d’autonomie à l’indépendance : un glissement conflictuel
Le MAK, initialement mouvement autonomiste, a progressivement glissé vers un discours indépendantiste. Pour ses dirigeants, ce basculement est la conséquence directe du refus de l’État algérien d’ouvrir un canal de dialogue, doublé d’un durcissement législatif — notamment via l’article 87 bis du code pénal — assimilant certaines revendications démocratiques à des actes terroristes.
Cette rupture totale entre le mouvement et les autorités explique, selon Belabbaci, pourquoi le 14 décembre représente « un point de non-retour ».
14 décembre : une date-limite entre deux époques
Indépendamment des suites concrètes que pourra connaître cette annonce, une chose semble acquise : le 14 décembre s’impose comme une date charnière dans l’histoire contemporaine de la Kabylie et dans la relation tumultueuse qu’elle entretient avec l’État algérien.
L’événement marque, pour reprendre les mots du vice-président du MAK, « la séparation entre deux temps : celui des revendications et celui de l’action ». En d’autres termes, la Kabylie entrera, selon la vision du mouvement, dans une nouvelle séquence politique où il s’agira non plus seulement de dénoncer, mais d’exister diplomatiquement.
Reste à savoir si ce passage du symbolique au politique pourra réellement s’opérer, et si la dynamique internationale recherchée prendra forme au-delà de l’effet d’annonce.
Mais une certitude demeure , l’histoire de la région ne sera plus écrite de la même manière après le 14 décembre.