En validant les plans du ministre de la Défense Theo Francken (N-VA) pour 2026, le gouvernement fédéral belge franchit un seuil symbolique et politique majeur , la lutte contre la migration illégale bascule ouvertement dans le registre militaire. Drones de surveillance, déploiement de troupes et patrouilles mixtes avec la police témoignent d’une requalification du phénomène migratoire, désormais traité comme une menace sécuritaire à part entière.
Officiellement, l’exécutif invoque un faisceau de risques terrorisme, criminalité organisée, trafic d’armes pour justifier l’engagement de l’armée. Mais cette logique, largement partagée dans certaines capitales européennes, soulève une question centrale : l’immigration irrégulière constitue-t-elle réellement un enjeu militaire, ou sert-elle de levier politique dans un climat anxiogène ?
Le recours aux drones MQ-9B SkyGuardian illustre cette dérive sécuritaire. Conçus pour des théâtres d’opérations extérieurs et des missions de renseignement de haute intensité, ces appareils sont désormais mobilisés pour surveiller des flux humains. Une transposition technologique lourde de sens, qui assimile implicitement le migrant à une cible à détecter, suivre et neutraliser au moins administrativement.
La mobilisation annoncée de 1 500 militaires, capables d’intervenir en moins de trente jours sur l’ensemble de l’espace euro-atlantique, participe de cette même logique de dissuasion. Certes, la Belgique demeure engagée au sein de l’OTAN face à la menace russe à l’Est. Mais l’amalgame progressif entre défense collective et gestion migratoire brouille les lignes, au risque de diluer la mission première des forces armées.
Sur le plan intérieur, l’appui de l’armée à la police ferroviaire à Bruxelles et la sécurisation renforcée des sites sensibles, notamment nucléaires, accentuent l’hybridation entre fonctions militaires et policières. Une évolution qui interroge sur le respect des principes de proportionnalité et sur la normalisation de dispositifs d’exception dans l’espace public.
Plus profondément, cette orientation traduit une vision réductrice de la migration, pensée avant tout sous l’angle de la menace. En reliant directement les flux migratoires à l’instabilité en Afrique, au Sahel ou au Moyen-Orient, le discours officiel occulte les responsabilités européennes économiques, climatiques et géopolitiques dans ces déséquilibres. Il élude également les impératifs du droit d’asile et de la protection internationale.
La Belgique n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une tendance européenne plus large, où la gestion des migrations se militarise progressivement, au détriment d’approches humanitaires, diplomatiques et structurelles. À court terme, cette stratégie offre un sentiment de contrôle. À long terme, elle risque surtout d’enraciner une confusion dangereuse entre sécurité nationale et détresse humaine.
En faisant le choix de l’uniforme et des drones, Bruxelles envoie un message politique clair. Reste à savoir si cette démonstration de fermeté répond réellement aux causes profondes de la migration, ou si elle ne fait que déplacer le problème, en le rendant plus invisible — et plus explosif.