Drame des inondations à Safi : quand la catastrophe n’est plus naturelle, mais institutionnelle

Par — Bouchaib El Bazi

Les précipitations qui se sont abattues sur la ville de Safi ne relèvent en rien d’un phénomène climatique exceptionnel. Il pleut partout dans le monde, parfois abondamment, sans que cela ne se transforme systématiquement en tragédie humaine. Ce qui s’est produit à Safi, causant la mort de plus de 37 personnes, ne peut donc être imputé à la seule “colère du ciel”. Il s’agit avant tout d’un échec humain, technique et institutionnel, qui impose aujourd’hui une clarification des responsabilités et l’ouverture de véritables mécanismes de reddition des comptes.

Ce ne sont pas les pluies qui tuent, mais la défaillance des systèmes censés protéger les citoyens. Une ville ne se noie pas parce qu’il pleut, mais parce que ses infrastructures ne sont ni conçues ni entretenues pour faire face aux épisodes pluvieux, pourtant prévisibles. Réseaux d’assainissement, bassins de rétention, canalisations, schémas d’aménagement urbain : tous ces dispositifs doivent anticiper le pire, et non fonctionner selon une logique minimale. Lorsque les rues se transforment en pièges mortels, le problème n’est pas météorologique, il est décisionnel.

Si la cause de la catastrophe réside dans la défaillance ou l’obstruction des ouvrages et réseaux d’évacuation des eaux, la responsabilité incombe directement à la commune concernée ou à l’entreprise délégataire chargée de l’entretien et de la gestion du service public d’assainissement. La délégation de service public n’exonère en rien les élus de leur devoir de contrôle, pas plus que les contrats ne constituent un bouclier contre la responsabilité. La loi est claire : celui qui gère un service public est comptable de la sécurité des citoyens, et non de simples justifications a posteriori.

Si, en revanche, les causes s’avèrent plus structurelles — urbanisme défaillant, autorisations de construire dans les lits d’oueds, tolérance à l’occupation anarchique du domaine public, retards chroniques dans les projets de protection contre les inondations — alors la chaîne de responsabilité s’élargit. Elle englobe les services techniques, les autorités locales et les instances de tutelle. Dans ce cas, le principe constitutionnel de la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes doit être appliqué sans ambiguïté, non comme un slogan politique, mais comme un impératif juridique et moral.

Le danger majeur, après un tel drame, serait de banaliser la mort et de réduire les victimes à de simples chiffres dans des communiqués officiels, avant de refermer le dossier dans un silence administratif. Les vies des Marocains ne sont ni négligeables ni sacrificielles. Elles ne peuvent être le prix à payer pour l’incompétence, la négligence ou la mauvaise gouvernance. Chaque victime pose une question directe à l’État et à ses institutions : qui a failli ? qui a manqué à son devoir ? et qui rendra des comptes ?

La justice due aux victimes ne se limite ni aux indemnisations ni aux déclarations de deuil. Elle commence par l’établissement rigoureux de la vérité et par la poursuite de tous ceux dont la responsabilité est engagée, quel que soit leur rang. Seule une reddition des comptes ferme et transparente permettra d’éviter la répétition de telles tragédies et de restaurer la confiance, déjà fragile, entre le citoyen et les institutions.

Ce qui s’est produit à Safi n’est pas une fatalité. C’est le résultat de choix — ou de non-choix. Et dans un État qui se respecte, les conséquences doivent être analysées à la lumière des causes, et non ensevelies sous le poids de l’oubli.

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