Darb Ghallef entre rumeur et réalité : ce que révèle réellement le projet d’aménagement urbain

Bouchaib El Bazi

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La circulation d’informations évoquant une prétendue « disparition » du marché emblématique de Darb Ghallef à Casablanca, au profit d’un centre commercial moderne, a provoqué une vague d’inquiétude et de polémique, notamment parmi les commerçants et les professionnels qui y exercent depuis des décennies. Pourtant, le recoupement des données officielles et des déclarations des acteurs directement concernés révèle une réalité bien différente : il ne s’agit ni d’une décision de démolition arrêtée, ni d’un projet exécutif imminent, mais d’un processus d’aménagement urbain encore à un stade juridique préliminaire, largement entouré de malentendus.

L’origine de la controverse

Le débat est né à la suite de la mise en circulation d’éléments liés au projet de plan d’aménagement de l’arrondissement de Maârif, actuellement soumis au Conseil de la ville de Casablanca pour avis. Ce document stratégique intègre le quartier de Darb Ghallef dans une zone de restructuration et de renouvellement urbain, dans le cadre des grandes mutations que connaît la capitale économique, en perspective des échéances organisationnelles et urbaines à l’horizon 2030.

Une lecture rapide – et parfois approximative – de certaines orientations du projet, notamment celles relatives à la création d’une nouvelle centralité commerciale, à la modernisation des accès, à la mise en place de parkings et à l’intégration d’espaces verts, a conduit à une conclusion hâtive : la fin de la « joutia » de Darb Ghallef dans sa configuration actuelle. Une interprétation qui a rapidement alimenté les réseaux sociaux et les conversations publiques.

Que prévoit réellement le plan d’aménagement ?

Darb Ghallef est l’un des marchés d’équipements électroniques les plus anciens et les plus réputés du Maroc, un pôle commercial ayant acquis, au fil des décennies, une notoriété nationale et même internationale. Aujourd’hui, ce site se retrouve au cœur du projet de plan d’aménagement de Maârif, qui s’inscrit dans une dynamique plus large de rénovation urbaine de Casablanca.

Selon les informations disponibles, le projet prévoit l’intégration de Darb Ghallef dans une zone de restructuration urbaine, avec la création d’une centralité commerciale modernisée répondant aux normes actuelles, sur une superficie estimée à environ 72 000 mètres carrés. Le concept repose sur la combinaison de l’activité commerciale avec des espaces verts, l’amélioration des conditions d’accessibilité, la réalisation de parkings souterrains, l’élargissement de certains axes routiers et la mise à niveau des infrastructures, tout en préservant des constructions à caractère historique.

Ces données techniques ont été interprétées par certains comme l’annonce d’une démolition pure et simple du marché, remplacé par un centre commercial à plusieurs étages, ce qui a nourri une atmosphère de crainte et de suspicion.

Un marché symbolique au cœur de la transformation urbaine

Pourtant, les représentants des commerçants réfutent catégoriquement cette lecture. Abdelmounaim Madkar, président de l’Association du marché Assalam de Darb Ghallef, affirme que les professionnels ont été surpris par l’ampleur de la polémique, soulignant que l’idée d’une suppression du marché « n’a aucun fondement réel ».

Dans une déclaration à Le360, il précise que le plan d’aménagement classe le site de la joutia de Darb Ghallef comme un équipement public, une qualification qu’il considère comme « positive », car elle ouvre la voie à une véritable restructuration susceptible de revaloriser le marché et de renforcer son rôle économique. L’association, ajoute-t-il, a déjà formulé ses observations et attend un schéma qui tienne compte de la spécificité de Darb Ghallef et des attentes des commerçants.

La position de la collectivité locale

De son côté, Abdelssadek Mershed, président de l’arrondissement de Maârif, insiste sur le fait que la proposition de restructuration de Darb Ghallef émane initialement de la collectivité locale elle-même, en concertation avec les commerçants. L’objectif, explique-t-il, est de consolider un pôle commercial qui représente un véritable levier économique et même touristique pour le quartier et pour Casablanca.

Il affirme que le cœur du projet est de préserver Darb Ghallef en tant que zone d’attraction commerciale, tout en protégeant son identité et sa vocation. « Il n’a jamais été question de transformer le marché en un centre commercial à plusieurs étages », assure-t-il. Le scénario envisagé tiendrait compte de la nature des activités dominantes à Darb Ghallef, qui ne nécessitent pas, selon lui, plus de deux niveaux de construction.

Le projet inclut également une vision élargie de l’environnement immédiat du marché, avec la création de parkings, d’une mosquée, d’espaces verts et de sanitaires, ainsi qu’une réflexion sur l’aménagement d’une zone dédiée à l’artisanat traditionnel à proximité, afin de regrouper les services de proximité dans un cadre structuré et cohérent.

Un projet encore loin d’être tranché

La question la plus sensible demeure celle du sort des commerçants durant une éventuelle phase de restructuration. À ce sujet, le président de l’arrondissement reconnaît l’existence de « craintes légitimes », tout en affirmant que l’orientation actuelle privilégie une réalisation des travaux par phases, afin de limiter autant que possible l’impact sur l’activité commerciale et de préserver les moyens de subsistance de centaines de familles.

Surtout, Abdelssadek Mershed rappelle que le projet n’a pas encore dépassé son cadre juridique initial. Le foncier abritant le marché n’est pas communal, la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique n’a pas été engagée, et aucune étude financière ou technique détaillée n’a encore été finalisée. Les modalités de financement et les partenariats éventuels restent également à définir.

Entre modernisation et préservation

En l’état, le dossier Darb Ghallef illustre les tensions classiques entre impératifs de modernisation urbaine et nécessité de préserver des espaces économiques populaires à forte charge symbolique. À ce stade, parler d’une décision irrévocable ou d’un « enterrement » du marché relève davantage de la spéculation que de l’information avérée.

La réalité est plus nuancée : Darb Ghallef est appelé à évoluer, mais dans un cadre encore en discussion, où la concertation avec les acteurs concernés demeure un élément clé. Entre rumeurs alarmistes et discours officiels, une certitude s’impose : le sort du marché emblématique de Casablanca n’est pas scellé, et le débat, lui, ne fait que commencer.

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