Métro 3 : le Palais du Midi résiste, le Conseil d’État siffle l’arrêt… et Bruxelles creuse son propre tunnel

Bouchaib El Bazi

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On l’appelait « projet structurant », « colonne vertébrale de la mobilité bruxelloise », voire — dans les moments d’optimisme administratif — « solution définitive ». Ce jeudi 18 décembre 2025, le Métro 3 a surtout confirmé son autre surnom, désormais solidement ancré : le ‍projet maudit.

Dans un arrêt aussi sec que symbolique, le Conseil d’État a suspendu le permis d’urbanisme autorisant la destruction et la reconstruction du Palais du Midi, infligeant au chantier un nouveau coup d’arrêt. Un de plus. Cette fois, ce ne sont ni les sols instables ni les budgets volatils qui ont freiné la foreuse, mais le droit, ce détail encombrant que l’on tente parfois de contourner quand l’urgence politique s’emballe.

Fast Track contre État de droit

Pour aller vite — très vite — la Région bruxelloise avait choisi la voie rapide. Une procédure « Fast Track », créée sur mesure par ordonnance en octobre 2023, censée permettre de désosser l’intérieur du Palais du Midi tout en sauvant ses façades, afin de faire passer le tunnel du métro en dessous. Une chirurgie lourde, pratiquée avant même de savoir si le patient était classé monument protégé.

Erreur fatale. Pour le Conseil d’État, on ne démonte pas un bâtiment historique pendant que plane encore la question de sa protection patrimoniale. Mettre la charrue avant les bœufs est une expression champêtre ; à Bruxelles, elle devient une jurisprudence.

L’ASBL Inter-Environnement Bruxelles (IEB) et l’Atelier de recherche et d’action urbaines (ARAU) remportent ainsi une victoire juridique majeure. Leur combat, mené depuis des années contre ce qu’ils considèrent comme un non-sens patrimonial et urbain, trouve enfin un écho institutionnel.

Quand l’argument des millions ne suffit plus

Devant le Conseil d’État, la STIB avait pourtant sorti l’arsenal habituel : coûts explosifs, travaux déjà engagés, menace d’un abandon définitif du tunnel, et surtout l’argument massue des milliards perdus. Plus de 400 millions d’euros investis depuis 2020, 1,5 milliard dans le prémétro des années 80-90… Une litanie comptable censée faire plier les juges.

Sans succès. Le Conseil d’État a tranché : la destruction irréversible d’un bâtiment historique est un risque plus grave que la perte — pourtant abyssale — d’argent public. À Bruxelles, c’est suffisamment rare pour être souligné.

Un chantier congelé, une ville suspendue

Le chantier du Métro 3 est à l’arrêt depuis 2021. Il est désormais officiellement congelé. Bulldozers interdits, désossage reporté, tunnel bloqué. Une décision sur le fond est attendue, mais elle pourrait prendre de longs mois, voire davantage. En attendant, le Palais du Midi reste un symbole figé : ni pleinement vivant, ni totalement abandonné.

La Ville de Bruxelles, par la voix de la première échevine MR Florence Frelinx et du bourgmestre PS Philippe Close, plaide désormais pour un arrêt des travaux jusqu’à la formation d’un gouvernement régional. Une demande qui frôle l’aveu : sans majorité politique stable, même les mégaprojets finissent par douter d’eux-mêmes. La Ville évoque même une ré-exploitation temporaire du bâtiment — gradins compris, pour ne pas perdre les 600.000 euros investis.

Le momentum de l’abandon ?

Pour l’IEB, la suspension du permis pourrait marquer le début de la fin. Le Métro 3, disent-ils, n’est « ni bon, ni rapide, ni proportionné » pour Bruxelles. Trop cher, trop lent, trop rigide. Un projet du siècle dernier, exécuté avec les outils juridiques d’hier et les finances de demain — c’est-à-dire inexistantes.

Au Parlement bruxellois, les auditions continuent. Les chiffres s’empilent, les responsabilités se diluent, et la Région, déjà étranglée budgétairement, regarde son métro rêvé se transformer en gouffre politique.

Bruxelles, capitale du provisoire définitif

Le Métro 3 n’est peut-être pas encore enterré. Mais il rejoint cette catégorie très bruxelloise des projets « trop avancés pour être abandonnés, trop bancals pour être poursuivis ». Un entre-deux administratif où l’on dépense sans avancer, où l’on creuse sans creuser, et où chaque décision arrive toujours un permis trop tard.

Pendant ce temps, le Palais du Midi tient bon. Comme un rappel ironique que, dans cette ville, le béton cède parfois moins vite que les certitudes politiques.

 

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