La diplomatie de Mohammed VI et la question du Sahara marocain : de la gestion du conflit à la gestion de la solution
Par Bouchaib El Bazi
Une diplomatie de clarté stratégique dans un environnement international mouvant
Depuis l’accession de Mohammed VI au Trône en 1999, la gestion marocaine du dossier du Sahara a connu une transformation profonde, rompant avec les logiques classiques de « gestion du conflit » qui ont longtemps prévalu. Cette rupture ne relève ni de l’improvisation ni de la conjoncture, mais d’un choix stratégique assumé : déplacer le centre de gravité du dossier, du registre de l’attente diplomatique vers celui de la production de solution.
La monarchie marocaine, en tant qu’institution constitutionnellement garante de l’unité territoriale et politiquement centrale dans l’architecture de décision, a opéré un basculement doctrinal clair : le Sahara n’est plus un dossier parmi d’autres, mais le prisme à travers lequel le Maroc structure désormais l’ensemble de ses relations extérieures. Lorsque Mohammed VI affirme que le Sahara constitue « le prisme à travers lequel le Maroc regarde le monde », il ne s’agit pas d’une formule rhétorique, mais d’un acte de souveraineté diplomatique assumé.
De l’ambiguïté internationale à l’exigence de positionnement
Cette doctrine de clarté a mis fin à une longue phase d’ambiguïté entretenue par certains partenaires internationaux, habitués à conjuguer coopération stratégique avec Rabat et neutralité politique sur la question du Sahara. Désormais, toute relation structurante avec le Maroc est conditionnée par une reconnaissance explicite et non équivoque de sa souveraineté sur ses provinces du Sud.
La récente résolution 2797 du Conseil de sécurité s’inscrit dans cette dynamique, en consolidant le cadre politique exclusif du règlement et en marginalisant définitivement les scénarios irréalistes hérités d’une lecture dépassée du droit international. La souveraineté et l’intégrité territoriale ne sont plus des variables d’ajustement diplomatique, mais des constantes non négociables.
L’autonomie : d’option diplomatique à référentiel unique
Au cœur de cette reconfiguration se trouve l’Initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007. Loin d’être une concession tactique, elle constitue l’ossature de la stratégie marocaine. En proposant une autonomie élargie sous souveraineté nationale, le Maroc a déplacé le débat du terrain idéologique vers celui du pragmatisme politique.
Ce projet, qualifié par les Nations unies de « sérieux et crédible », a progressivement invalidé toute autre référence, notamment l’option du référendum, devenue impraticable tant sur le plan juridique qu’opérationnel. L’autonomie n’est plus une solution parmi d’autres, mais l’unique cadre réaliste de règlement, reconnu comme tel par une majorité croissante d’États.
Développement et souveraineté : une équation assumée
L’un des marqueurs distinctifs de la diplomatie marocaine réside dans l’articulation organique entre action diplomatique et action territoriale. Le nouveau modèle de développement des provinces du Sud a transformé la région en un espace de croissance, d’intégration sociale et de projection continentale.
Les investissements massifs dans les infrastructures, l’éducation, l’énergie et les ports ont donné une consistance matérielle à la souveraineté marocaine. L’ouverture de dizaines de consulats à Laâyoune et Dakhla constitue moins un symbole diplomatique qu’un acte politique concret : la reconnaissance internationale passe désormais par la présence institutionnelle sur le terrain.
Les provinces du Sud comme plateforme géostratégique
Au-delà du cadre national, Rabat a inscrit ses provinces du Sud dans une vision géoéconomique continentale. L’Initiative atlantique lancée par Mohammed VI, visant à offrir aux pays du Sahel un accès à l’océan Atlantique, repositionne le Sahara marocain comme interface logistique et stratégique entre l’Afrique intérieure et les marchés mondiaux.
Le port atlantique de Dakhla, le corridor continental Mohammed VI et le projet de gazoduc Nigeria-Maroc traduisent une diplomatie d’infrastructures qui dépasse le cadre du différend pour inscrire la région dans les dynamiques de sécurité énergétique et de coopération Sud-Sud. Ici, la souveraineté n’est pas proclamée : elle est fonctionnelle.
Deux visions irréconciliables du règlement régional
Le contraste avec la posture algérienne est saisissant. Là où Rabat défend une solution politique pragmatique orientée vers la stabilité régionale, Alger persiste dans une approche idéologique figée, refusant de reconnaître son statut de partie prenante directe tout en soutenant activement le Front Polisario.
Cette posture, fondée sur la perpétuation du statu quo et la sacralisation d’options obsolètes, contribue à la paralysie du Maghreb et à l’érosion des mécanismes d’intégration régionale. À l’inverse, la stratégie marocaine vise la normalisation du Sahara comme espace de développement, condition préalable à toute stabilité durable.
Une diplomatie d’équilibre dans un monde polarisé
Sur le plan global, le Maroc a su préserver une autonomie stratégique rare dans un contexte de polarisation accrue. Sans renoncer à ses alliances traditionnelles occidentales, le Royaume a diversifié ses partenariats vers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine, évitant ainsi l’enfermement dans une logique de blocs.
Cette diplomatie d’équilibre protège le dossier du Sahara de toute instrumentalisation géopolitique et renforce la capacité de Rabat à consolider ses acquis, indépendamment des fluctuations internationales.
Du conflit géré à la solution maîtrisée
La transformation opérée par Mohammed VI réside précisément dans ce passage d’une logique défensive à une logique de maîtrise. En substituant l’attente à l’initiative, la réaction à l’anticipation, le Maroc a cessé de gérer un conflit pour administrer une solution.
Le Sahara marocain n’est plus un dossier suspendu aux calendriers onusiens : il est devenu un projet politique, économique et stratégique intégré. Et c’est précisément cette cohérence, entre vision, action et constance, qui explique le basculement progressif mais irréversible de la communauté internationale en faveur de la position marocaine.