Virage économique ou repli diplomatique ? L’Algérie ouvre ses secteurs stratégiques aux capitaux étrangers
Bouchaib El bazi
Alger, juin 2025 – Dans un climat international tendu, l’Algérie amorce un changement majeur de cap économique. Un projet de loi récemment soumis au Parlement prévoit de lever la barrière emblématique de la règle 51/49, ouvrant la voie à une prise de participation étrangère allant jusqu’à 80 % dans les industries du pétrole, du gaz et des ressources minières. Une initiative sans précédent dans un pays longtemps attaché à un contrôle strict de ses actifs stratégiques.
Présentée comme une réponse à la nécessité de revitaliser l’investissement étranger dans un contexte économique difficile, cette réforme soulève des interrogations quant à ses véritables motivations. Selon plusieurs observateurs, il s’agirait moins d’une réforme structurelle mûrement réfléchie que d’un geste de réalignement politique à visée diplomatique, notamment en direction des États-Unis.
L’énergie comme levier de diplomatie silencieuse
Quelques jours à peine après l’annonce du texte, Alger a accueilli en grande pompe les dirigeants de deux poids lourds du secteur énergétique américain, ExxonMobil et Chevron. Le président Abdelmadjid Tebboune les a reçus personnellement, dans ce qui s’apparente à une campagne d’ouverture économique ciblée. En toile de fond , le souci d’éviter que Washington ne revoie sa position sur le dossier du Sahara occidental.
Cette séquence intervient alors que des voix de plus en plus nombreuses, y compris au sein du Congrès américain, remettent en question la légitimité du Front Polisario, accusé de dérives sécuritaires et de collusions avec des réseaux criminels dans le Sahel. L’hypothèse d’une désignation du Polisario comme organisation terroriste n’est plus exclue à Washington. Pour Alger, un tel scénario constituerait un revers diplomatique majeur.
Une stratégie à double tranchant
Dans ce contexte, l’assouplissement des règles sur l’investissement dans les secteurs extractifs semble répondre à une logique de court terme , offrir un accès privilégié aux ressources nationales en échange d’un soutien politique implicite, ou au minimum, d’une neutralité bienveillante de la part de Washington. L’ambassadeur d’Algérie aux États-Unis, Sabri Boukadoum, avait d’ailleurs préparé le terrain en mars dernier en affirmant que « la coopération avec les États-Unis n’a pas de limites », dans un entretien aux accents stratégiques.
Si cette approche témoigne d’un pragmatisme certain, elle soulève également la question d’une perte progressive de souveraineté économique. En autorisant des participations étrangères majoritaires dans des secteurs jusque-là considérés comme intouchables, Alger envoie un signal fort, mais potentiellement dangereux, quant à l’équilibre de sa politique intérieure et à la solidité de ses engagements sociaux.
Un virage qui divise
Pour une partie de la société algérienne, cette libéralisation soudaine apparaît en décalage avec les discours souverainistes longtemps promus par les autorités. Les attentes de transparence, de redistribution des richesses et de justice sociale se heurtent désormais à une ouverture économique jugée précipitée et peu concertée.
Ce repositionnement de l’économie algérienne s’inscrit dans un climat d’isolement régional grandissant, accentué par l’érosion du soutien international au Polisario et par la montée en puissance du plan marocain d’autonomie, soutenu par un nombre croissant de pays africains et occidentaux. Dans ce contexte, Alger semble miser sur un soutien stratégique américain pour maintenir son influence sur ce dossier.
Entre modernisation économique et dépendance politique
Si la réforme est adoptée, elle représentera un tournant historique pour l’Algérie. Mais ce choix pourrait aussi marquer l’entrée du pays dans une ère de dépendance nouvelle, où les équilibres économiques se négocieront de plus en plus dans les arcanes diplomatiques, au détriment peut-être de l’intérêt national.
À défaut de parvenir à imposer sa lecture du dossier saharien sur la scène internationale, l’Algérie fait aujourd’hui le pari d’une ouverture économique ciblée pour préserver son capital diplomatique. Une stratégie risquée, dont le succès dépendra autant de la réponse américaine que de la capacité du pays à éviter une dilution de son autonomie stratégique.