CAN 2025 au Maroc : quand le football devient une comparaison politique silencieuse

Bouchaib El Bazi

La Coupe d’Afrique des Nations 2025, organisée par le Maroc, ne se limite pas à une compétition sportive inscrite dans le calendrier continental. Sans déclaration officielle ni intention affichée, l’événement s’est progressivement transformé en une expérience de comparaison à ciel ouvert entre différents modèles de gouvernance, en particulier pour des milliers de visiteurs venus des pays voisins, au premier rang desquels les Algériens.

Ce basculement ne s’est pas opéré dans les tribunes, mais bien en dehors des stades. Dès l’arrivée, l’expérience est immersive : aéroports modernes, procédures fluides, infrastructures numériques fonctionnelles, réseau de transport performant, villes structurées et équipements sportifs intégrés dans une vision globale du développement. Autant d’éléments qui, pris séparément, paraissent banals dans des pays ayant fait le choix de la planification et de la stabilité, mais qui, mis bout à bout, produisent un effet de contraste saisissant pour des visiteurs peu habitués à ce niveau d’organisation dans leur environnement régional immédiat.

Une comparaison imposée par le réel

Ce qui rend cette séquence singulière, c’est que la comparaison ne procède ni d’un discours politique ni d’une campagne médiatique. Elle s’impose d’elle-même, par la simple confrontation avec le réel. Le supporter algérien, souvent nourri d’un récit officiel fondé sur la désignation permanente d’un ennemi extérieur et sur une rhétorique de résistance, se retrouve face à une réalité difficilement conciliable avec les représentations inculquées.

La question qui émerge alors n’est pas tant « comment le Maroc a-t-il réussi ? » que « pourquoi l’Algérie, malgré ses ressources, n’a-t-elle pas suivi une trajectoire comparable ? ». Ce déplacement du questionnement est en soi un événement politique, car il déplace la responsabilité du dehors vers l’intérieur.

Le récit officiel à l’épreuve de l’expérience

Les systèmes politiques fermés reposent en grande partie sur le contrôle du récit et sur l’entrave à toute comparaison directe. Or, une compétition internationale, par nature transnationale, échappe à ce contrôle. Elle ouvre une brèche cognitive dans laquelle l’expérience vécue prend le pas sur le discours institutionnel.

Dans ce contexte, le Maroc ne constitue pas une menace en tant qu’État concurrent, mais en tant que modèle observable. Un modèle qui, sans propagande, met en lumière les effets de choix politiques distincts : investissement à long terme, articulation entre sport, tourisme et diplomatie douce, stabilité institutionnelle et centralité du civil dans la décision publique.

Le retour comme moment de cristallisation

Souvent, c’est au retour que la prise de conscience s’intensifie. Le contraste devient plus brutal : infrastructures vieillissantes, services publics dégradés, lourdeurs administratives, sentiment d’immobilisme. L’admiration ne se transforme pas nécessairement en contestation ouverte, mais elle engendre un doute durable. Et le doute, dans les régimes autoritaires, est plus déstabilisant que la protestation ponctuelle.

Car lorsque le citoyen cesse de croire spontanément au récit officiel, les mécanismes classiques de mobilisation et de peur perdent en efficacité.

Le football comme soft power involontaire

La CAN 2025 a ainsi joué un rôle que ni les rapports d’ONG ni les critiques internationales n’avaient pleinement réussi à jouer. Elle a offert un espace neutre de comparaison, sans injonction ni discours. Le football, ici, agit comme un révélateur social et politique involontaire.

Les stades ne sont plus seulement des lieux de compétition sportive, mais des vitrines de choix structurels. Les tribunes deviennent des espaces d’observation, et l’événement sportif se mue en expérience civique implicite.

Après le tournoi, la mémoire

Il est probable que les autorités algériennes parviennent à contenir toute expression immédiate de remise en cause. Mais ce qui échappe au contrôle, c’est la mémoire collective. Une expérience vécue, une fois intégrée, ne s’efface pas. Elle ne débouche pas nécessairement sur une rupture brutale, mais elle amorce un processus plus profond : celui de la comparaison, de la remise en question, et du recul critique.

Et dans les systèmes politiques rigides, cette dynamique est souvent plus redoutée que les slogans ou les manifestations. Car elle ne crie pas, ne s’affiche pas, mais elle s’installe.

En ce sens, la CAN 2025 au Maroc n’a pas seulement produit des résultats sportifs. Elle a généré une séquence politique silencieuse, dont les effets pourraient se révéler, à terme, bien plus durables que le tableau d’affichage final.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.